Un soldat d’aplomb
D’abord paru en 1952, ce récit enfin réédité reste fort, montrant le refus d’un enfant de se plier à la discipline militaire.
Revoici en librairie un fameux best-seller de 1952. Au moment de sa parution chez CalmannLévy, Allons z’enfants… avait fait couler pas mal d’encre, ébloui les uns et agacé les autres. Il faut dire que son talentueux auteur, Yves Gibeau (1916-1994), n’était pas du genre à mâcher ses mots. Ce dernier raconte ici l’expérience terrible d’un garçon de 13 ans qui lui ressemble sans doute comme un frère. Fort et bien bâti, Simon Chalumot est le fils unique d’un adjudant retraité aux longues moustaches et à l’esprit obtus. Le garçon est intelligent, il a été reçu premier au certificat d’études. Il n’a pas demandé à étudier le « métier des armes », son père a décidé pour lui.
Il lui faut donc un matin quitter Reims et se diriger sans joie vers l’école militaire préparatoire des Andelys, en Normandie, afin d’y être enfant de troupe. Sur place, Simon est affecté à la première section de l’adjudant Pommier, surnommé Moustache. Le matricule 2154 plonge d’emblée dans le grand bain. Dès son arri- vée, il a la chance de balayer les escaliers des deux étages. Préférant aller jouer au « volley balle », il décide de bâcler son premier examen. Son franc-parler n’est pas de mise en pareil endroit. Il doit au plus vite se plier aux règles de l’institution. Constamment en désaccord avec la discipline, Simon a également bien du mal avec son rôle de chef de table au réfectoire. Il a pourtant été prévenu. A l’école militaire, les révolutionnaires seront matés, il n’y a nulle place pour les mauvais esprits. « Préparez-vous à en voir de toutes les couleurs. On ne vous épargnera pas, croyez-moi vous plierez, Chalumot, où j’y perdrai mes galons », l’avertit le capitaine des Abeilles. Cette vie d’esclave, Simon la rejette chaque jour un peu plus, tant elle lui inspire « une répulsion maladive, proche de la haine »…
Fils d’un adjudant de carrière, ayant lui-même fréquenté les lieux qu’il décrit, Yves Gibeau savait parfaitement de quoi il parlait. La force de son récit reste aujourd’hui intacte. Même s’il peint un monde lointain et utilise fréquemment un argot d’époque, l’auteur de La Ligne droite ( 1956) et des Dingues (Editions des Equateurs, 2004) s’avère toujours aussi pertinent dans sa description d’un jeune héros obligé de passer de l’enfance à la condition d’homme d’une manière salement brutale. Son vibrant portrait d’un insoumis fait toujours autant frémir. Alexandre Fillon ormais trop grande et lourde pour la femme seule ? La mère résiste, le fils veut s’en séparer. Car cette bâtisse humide et quasi inhabitable, dotée d’un hectare de jardin, demeure celle où, enfant, le narrateur subissait le martinet et l’intraitable autorité paternelle. Et voilà qu’aujourd’hui, pour le dissuader de vendre, pour l’inciter à « blanchir le passé », la mère lui refait le coup des images : un album de photos qui témoignent de moments heureux. Alors que, quadragénaire, il s’est construit en opposition à ces souvenirs qui reviennent, il est contraint de les affronter – les accepter ou les rejeter. Partant d’une situation que chacun pourra connaître au mitan de sa vie, François-Guillaume Lorrain offre une composition des mieux dosées : il convoque la nostalgie de l’enfance et la solidité de l’adulte, la révolte et la fidélité, la haine et la fuite. Avec simplicité, honnêteté, subtilité, avec autodérision aussi, Lorrain écrit plus qu’un livre : Vends maison de famille est un chemin, celui de la construction de soi chez ceux qui ont eux-mêmes arraché leurs racines. C’est aussi un boomerang, celui d’un âge où les racines remontent à la surface. Lorrain ne s’en débarrasse pas. Il leur offre un pacte par la grâce de la littérature. H.A.
Yves Gibeau, FrançoisGuillaume Lorrain,
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