Un monde fou
Lobotomie, électrochoc, camisole chimique – ou comment on a cherché à soigner l’esprit par le corps.
La psychiatrie, c’est bien connu, est un enfer pavé de bonnes intentions. Les plus folles inventions, oui, mais pour le bien du malade. En 1935, à Lisbonne, le déjà célèbre neurologue portugais Egas Moniz supervise le premier acte de « psychochirurgie » sur une dame âgée de 60 ans, plutôt méfiante, réticente à l’examen. Le bistouri virtuose trépane, ouvre le cerveau, explorant pour mieux la réduire la supposée lésion cérébrale. Au réveil, la dame se porte mieux, se détend pour accéder à un calme relatif. C’est l’acte de naissance de la fameuse « lobotomie », promise à tous les fantasmes y compris cinématographiques. Moniz décide donc d’engager la lutte contre la schizophrénie, cette « dernière redoute de l’incurabilité ». Le professeur obtient, en 1949, un prix Nobel de médecine. En 1950, près de dix mille malades sont opérés, avant que la méthode ne soit durement critiquée. Au sortir de la guerre, le traitement paraît barbare, dégradant pour le patient, et le manque de résultats est flagrant. Quelques cas d’amélioration, beaucoup de malades transformés en légumes. Suivront les thérapies de choc. Choc, voilà le maître mot. Il s’agit de bouleverser la vie psychique du patient pour mieux la reconstruire. Bien sûr, l’électrochoc, toujours en usage de nos jours, la narcoanalyse, cette plongée dans un sommeil qui libère la parole inhibée, le choc à l’amphétamine, le coma insulinique, le LSD qui manifeste le sens crypté de l’hallucination, les neuroleptiques qui visent à tout. A la suite d’un Freud étrangement revisité, on en vint même à parler de « psychanalyse chimique ». Dans ce sillage, l’expert compte aussi sur le Penthotal, le fameux « sérum de vérité » , pour obtenir les aveux du psychopathe. C’est bien l’ère du sésame chimique, du sujet transparent comme le cristal. Où en sommes-nous aujourd’hui? Après l’homme neuronal des années 1980, les psychotropes ont fait naître la chimère de l’homme chimique, et maintenant, avec l’imagerie cérébrale, arrive l’homme connecté sur lequel pourrait intervenir une nanopsychochirurgie qui, ironie du sort, serait comme une résurrection douce et non invasive du projet du Dr Moniz. A chaque fois, le fou, découpé en symptômes, est dépossédé de sa biographie tragique, de son histoire personnelle tramée de conflits. On se baladera bientôt avec des implants dans le cerveau avec autorégulation à la clé, histoire de réduire, à volonté, son TOC ou son angoisse. Une société a bien les malades qu’elle mérite. Alain Rubens
Carlos Parada,
vue? Et où classer l’hermaphrodite, le transsexuel qui se sentait très mal dans sa peau? Bref, le sexe génital lui-même était enserré dans une construction dont il fallait desserrer l’étau. Le philosophe Thierry Hoquet a arpenté, optant pour un alter naturalisme, l’arcen-ciel biologique étonnant humain et animal pour y révéler des sexes innombrables, des vivants intersexués, des génitoires bizarrement configurées d’une espèce à l’autre. L’auteur, au nom d’une émancipation radicale, revendique non plus la seule égalité, ni même la parité, mais la neutralité des sexes, soit n’en plus faire mention dans l’état civil. L’essai de Thierry Hoquet, passionnant à maints égards, s’inscrit dans ce vaste projet de déconstruction, bien dans l’air du temps, qui pourrait finir par araser toute différence. N’allons pas troquer l’égalité contre l’indifférenciation, le triomphe du même. A.R.
Thierry Hoquet,
•