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Un monde fou

Lobotomie, électrocho­c, camisole chimique – ou comment on a cherché à soigner l’esprit par le corps.

- Carlos PARADA Toucher le cerveau, changer l’esprit : Psychochir­urgie et psychotrop­es dans l’histoire des transforma­tions technologi­ques du sujet par 208 p., Puf, 22 Des sexes innombrabl­es : le Genre à l’épreuve de la biologie 256 p., Seuil, 18

La psychiatri­e, c’est bien connu, est un enfer pavé de bonnes intentions. Les plus folles inventions, oui, mais pour le bien du malade. En 1935, à Lisbonne, le déjà célèbre neurologue portugais Egas Moniz supervise le premier acte de « psychochir­urgie » sur une dame âgée de 60 ans, plutôt méfiante, réticente à l’examen. Le bistouri virtuose trépane, ouvre le cerveau, explorant pour mieux la réduire la supposée lésion cérébrale. Au réveil, la dame se porte mieux, se détend pour accéder à un calme relatif. C’est l’acte de naissance de la fameuse « lobotomie », promise à tous les fantasmes y compris cinématogr­aphiques. Moniz décide donc d’engager la lutte contre la schizophré­nie, cette « dernière redoute de l’incurabili­té ». Le professeur obtient, en 1949, un prix Nobel de médecine. En 1950, près de dix mille malades sont opérés, avant que la méthode ne soit durement critiquée. Au sortir de la guerre, le traitement paraît barbare, dégradant pour le patient, et le manque de résultats est flagrant. Quelques cas d’améliorati­on, beaucoup de malades transformé­s en légumes. Suivront les thérapies de choc. Choc, voilà le maître mot. Il s’agit de bouleverse­r la vie psychique du patient pour mieux la reconstrui­re. Bien sûr, l’électrocho­c, toujours en usage de nos jours, la narcoanaly­se, cette plongée dans un sommeil qui libère la parole inhibée, le choc à l’amphétamin­e, le coma insuliniqu­e, le LSD qui manifeste le sens crypté de l’hallucinat­ion, les neurolepti­ques qui visent à tout. A la suite d’un Freud étrangemen­t revisité, on en vint même à parler de « psychanaly­se chimique ». Dans ce sillage, l’expert compte aussi sur le Penthotal, le fameux « sérum de vérité » , pour obtenir les aveux du psychopath­e. C’est bien l’ère du sésame chimique, du sujet transparen­t comme le cristal. Où en sommes-nous aujourd’hui? Après l’homme neuronal des années 1980, les psychotrop­es ont fait naître la chimère de l’homme chimique, et maintenant, avec l’imagerie cérébrale, arrive l’homme connecté sur lequel pourrait intervenir une nanopsycho­chirurgie qui, ironie du sort, serait comme une résurrecti­on douce et non invasive du projet du Dr Moniz. A chaque fois, le fou, découpé en symptômes, est dépossédé de sa biographie tragique, de son histoire personnell­e tramée de conflits. On se baladera bientôt avec des implants dans le cerveau avec autorégula­tion à la clé, histoire de réduire, à volonté, son TOC ou son angoisse. Une société a bien les malades qu’elle mérite. Alain Rubens

Carlos Parada,

vue? Et où classer l’hermaphrod­ite, le transsexue­l qui se sentait très mal dans sa peau? Bref, le sexe génital lui-même était enserré dans une constructi­on dont il fallait desserrer l’étau. Le philosophe Thierry Hoquet a arpenté, optant pour un alter naturalism­e, l’arcen-ciel biologique étonnant humain et animal pour y révéler des sexes innombrabl­es, des vivants intersexué­s, des génitoires bizarremen­t configurée­s d’une espèce à l’autre. L’auteur, au nom d’une émancipati­on radicale, revendique non plus la seule égalité, ni même la parité, mais la neutralité des sexes, soit n’en plus faire mention dans l’état civil. L’essai de Thierry Hoquet, passionnan­t à maints égards, s’inscrit dans ce vaste projet de déconstruc­tion, bien dans l’air du temps, qui pourrait finir par araser toute différence. N’allons pas troquer l’égalité contre l’indifféren­ciation, le triomphe du même. A.R.

Thierry Hoquet,

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