Voyage sans retour
éphir nous avait donné avec Le Grand Combat un premier album où éclatait le talent graphique de ce jeune dessinateur. On en avait rendu compte ici avec enthousiasme. L’enthousiasme ne faiblit pas en face du second. Il faut dire que le récit que lui a fourni Maximilien Le Roy convient parfaitement à cette esthétique, tentée par l’halluciné.
Le sous-titre éclaire le propos : Antonin Artaud, un voyage mexicain. Au sein de la religion artiste, Artaud occupe une place de choix, en martyr de la Mélancolie. A l’instar de Gauguin, l’auteur d’Héliogabale passe les dernières années de sa vie à chercher toujours plus loin une « authenticité » qu’il ne trouve pas dans la civilisation occidentale – bref, qu’il ne trouve pas en lui. Quête désespérée d’un horizon qui, toujours, recule. Au Mexique il tombe sur le pays qui, avec l’URSS, conduit la révolution politique la plus radicale de son temps, mais cela ne lui suffit pas. Les jours les « plus heureux de [ son] existence » , il va les passer au coeur d’une communauté amérindienne où, quelques jours durant, il peut enfin cesser de « porter son corps ». Le miracle s’appelle le peyotl. Misérable miracle, pour parler comme Henri Michaux, dans lequel, comme le lui dit un Indien ami, « tu brûles ton esprit ». Après quoi il ne restera plus à la psychiatrie occidentale « de pointe » que d’y aller de ses électrochocs.
Le livre suit avec finesse ce voyage intérieur, donc sans issue. Il pousse la précision jusqu’à reproduire quelques-uns des dessins d’Artaud et jusqu’à citer de longs extraits de sa conférence à Mexico, manifeste du radicalisme culturel, aux yeux duquel « pour faire mûrir la culture il faudrait fermer les écoles, brûler les musées, détruire les livres, briser les rotatives des imprimeries ». En tout cas, on ne brûlera pas les superbes images de Zéphir qui, avec ou sans peyotl, nous transporte dans une équivalence graphique de la pensée magique. On l’aura compris : voici le plus bel album de BD sorti depuis longtemps. Pascal Ory
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