HISTOIRES DE CRÉPUSCULES
l faut avoir le coeur bien accroché et l’humeur impassible pour lire un ouvrage sur la politique de la France ces temps-ci. A l’approche de la fin du quinquennat, à l’entrée de la ligne droite menant à l’élection suprême, tous les auteurs s’ingénient à décrire les ténèbres désolantes dans lesquelles notre pays, sous le règne de François Hollande, est englouti. Tous, les journalistes, les politologues, les acteurs et les élus, ceux qui se disent de gauche et ceux qui se croient de droite s’acharnent à nous faire désespérer de tout et de tous.
Dernier en date des ouvrages portant l’image du président en couverture, voici l’oeuvre de deux journalistes spécialisés dans ces matières politiciennes, Charlotte Chaffanjon et Bastien Bonnefous. Titre : Le Pari. Nul n’ignore qu’il s’agit du défi démentiel que le chef de l’Etat s’est lancé à lui-même depuis bientôt cinq ans. En avril 2014, en visite d’une usine à Saint-Etienne, il en répétait les termes : « Si le chômage ne baisse pas d’ici à 2017, je n’ai aucune chance d’être candidat ou aucune chance d’être élu. » On pourrait croire que François Hollande a oublié son serment tant il met de zèle à organiser sa candidature. Les auteurs ne laissent passer aucune péripétie, aucune petite phrase, aucun témoignage pour étayer cette partie d’enfer. « Le président, affirmentils, conforté dans sa réflexion par ses proches, adhère au scénario dit du “trou de souris”. Un président rétabli, une gauche sans plan B crédible et une droite amputée, voilà l’équation gagnante à laquelle se raccroche François Hollande pour espérer passer le premier tour de la présidentielle. Et affronter Marine Le Pen au second. »
Ouais… L’espoir fait peut-être vivre le président-quasicandidat mais sûrement pas ce peuple français désormais le plus désabusé de la planète. Les auteurs du Pari citent honnêtement les témoignages impitoyables de ceux qui ne se laissent pas bercer d’illusions. Tel son plus vieil ami, l’avocat Jean-Pierre Mignard : « De Gaulle en 1940, c’était la tempête. Hollande ne peut pas se contenter d’être Paul Reynaud. » Mais nos deux auteurs font observer que, depuis toujours, François Hollande est celui qu’au PS on moque sans égard comme si, avec lui, on pouvait tout se permettre.
Autre journaliste, spécialisée dans les déboires de la gauche, Cécile Amar publie une longue et révérencieuse conversation avec Jacques Delors. Voilà qui ne réconfortera pas les lecteurs en mal d’espérance. Delors, qui a 90 ans et des problèmes de santé, est réputé pour son pessimisme incorrigible : « Mon inquiétude sur l’avenir de la France et de la démocratie, je l’avais à 12 ans en 1937 ». A 12 ans ? Face à son interlocutrice éperdue d’admiration, Delors manifeste une autocomplaisance qui laisse perplexe.
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A peine nommé à la présidence de la Commission européenne, en septembre 1984, il voyage à travers le continent et s’en va soumettre aux gouvernements partenaires ses idées pour faire repartir la machine européenne. « Ce sera son trait de génie ! » dit Cécile Amar. « Oui, répond Delors, j’ai toujours agi ainsi, avec beaucoup de rouerie, le sens de la négociation et des idées nouvelles. » Plus loin, il complète son portrait : « J’ai été favorisé par ma seule qualité, mon talent pédagogique. Tout le monde était frappé, même Giscard et Mitterrand. » Quoi qu’il s’en défende, Jacques Delors ne s’est pas tout à fait pardonné d’avoir renoncé, en 1994, à une candidature présidentielle : « Il n’est pas dit, confesse-t-il, que, président de la République, j’aurais réussi. Premier ministre, sans doute. Mais président de la République ? Le mystère reste entier… 1994, c’était franchement – même si je ne m’en suis pas rendu compte immédiatement – renoncer à la politique… Je n’avais pas conscience que je ne pourrais pas rebondir en deux ans. »
C’est naturellement à l’Europe que vont ses regrets et ses remords. « L’Europe, écrit Cécile Amar, sa respiration, la terre de son épanouissement, son histoire. » Il n’aurait pas accepté la Grèce dans la zone euro en 2001. Et sur l’élargissement aux pays de l’Est, il aurait dit oui par principe. « Mais c’était trop vite ! » Il n’a pas été écouté. Aujourd’hui, son amertume est grande. « L’Europe n’a plus de souffle… Plus d’âme… Elle ne fait plus vibrer les peuples… Ce n’est plus qu’un agrégat de vingt-huit pays qui n’ont plus rien en commun. » Et pour finir, ce cri du coeur, déchirant : « Quel chef de gouvernement fait un geste courageux pour entraîner les autres ? »
Charlotte Chaffanjon Bastien Bonnefous,
Après deux ouvrages ainsi baignés d’inertie, va- t- on retrouver le moral sur les pas d’Alain Juppé, en compagnie – pendant dix-huit mois ! – de la journaliste Gaël Tchakaloff ? Son récit-enquête, intitulé Lapins et merveilles, est un drôle de livre bien plus édifiant sur les états d’âme, voire les coups de coeur, de la jeune femme plongée dans ce monde brutal de l’élection présidentielle que sur ce que l’on peut attendre, espérer ou craindre du candidat lui-même.
Une fois son livre envoyé à l’imprimerie, Gaël Tchakaloff s’interroge : « Et après ? Le grand vide, le grand blanc. Sans toi, sans vous, sans eux… Que reste-t-il d’Alain Juppé? Moi, je ne sais pas. Je ne sais plus. » Et nous, lecteurs, électeurs, citoyens, pas davantage. Livrés sans défense ni défiance au jeu diabolique de cette élection reine.
Cécile Amar, Tchakaloff, Gaël