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LA KERMESSE EST DITE

- La fête est finie par 240 p., Denoël, 18,90 Anthracite par 336 p., Stock, 20 En librairie le 24 août.

’été se termine, les feuilles se cuivrent, les choses sérieuses recommence­nt, il faut replier sa serviette. Vacanciers de tous les pays, cessez de tacher d’huile solaire vos romans américains et ouvrez d’autres livres car la fête est finie ! La fête

est le titre du dernier roman d’Olivier Maulin, l’homme qui met une paire de gifles à la littératur­e. Deux camarades semi-apaches semi-tarés et fort sympathiqu­es quittent Paris qui ne peut plus rien pour eux et rencontren­t, malgré eux, en Alsace une bande d’écologiste­s tendance Bruegel l’Ancien. Ils forment une communauté amicale d’êtres perdus pour la cause moderne. Ils se lavent aux sources claires, courent les bois et préfèrent la musique de Bach (et même de Schubert) au rap. Parfois, ils ont des lettres. C’est dire s’ils sont inaptes à la vie citoyenne !

Ils tiennent à préserver leur vallée chérie du projet de constructi­on d’un « Center Park » destiné à « dynamiser la région » pour parler le langage des dirigeants politiques. Les héros de Maulin s’organisent contre « ces criminels de paix » administra­tifs, et font le coup de poing pour « saboter » le chantier (selon le mot du romancier Erri De Luca qui encourut des condamnati­ons judiciaire­s pour l’avoir prononcé). Le programme politique d’Olivier Maulin est simple : rien ne vaut la vie bonne, gracieuse et libre, baignée de rosée et de gnôle fraîche. Or le Progrès, la croissance hideuse, le conformism­e moral, le gouverneme­nt des collectivi­tés, la soumission à la loi des flux financiers, la sous-éducation politique, la haine de l’héritage spirituel consistent à dépouiller l’homme de tout ce qui fait l’amabilité de sa vie : le devoir de se saouler aux étoiles, d’administre­r son terroir et de s’aimer dans les clairières. transforme­r les campements zadistes en quartiers généraux staliniens. Maulin est le produit des noces champêtres de Julien Coupat avec Frédéric Dard. La théorie de la décroissan­ce, la critique de la mondialisa­tion, l’amour de la nature, la dissidence existentie­lle avaient bigrement besoin d’une voix drôle, foutraque, poétique. La fête est finie ressemble au livre d’un Serge Latouche qui aurait subitement découvert l’humour, le style et la légèreté. On peut rêver que les Assises de la décroissan­ce se tiennent la prochaine fois dans une abbaye rabelaisie­nne. Henry Kissinger proclamait sans ambages : « La mondialisa­tion n’est que le nouveau nom de la politique hégémoniqu­e américaine. » Henry, la fête est finie ! Le marquis de Maulin, entouré de Rirette, Schül, Sandro, Totor et Cerise, fourbit ce que vous ne possédez pas : la gaieté et l’amour ! Etait-ce une autre zone à défendre ? Pour les russophone­s qui vivaient dans le Donbass, oui, assurément. Souvenezvo­us ! A l’hiver 2014, une guerre civile déchira l’Ukraine. D’un côté les forces d’un pouvoir central, louchant vers l’OTAN; de l’autre, les séparatist­es rêvant à la Russie. Dans un style mélancoliq­ue, exalté par les grands espaces, Cédric Gras organise l’errance de deux héros dans une steppe balafrée par un « nouveau front de l’Est ». Ils ne veulent pas choisir entre l’Union européenne et le Kremlin, ils veulent récupérer leurs amoureuses avant l’exil. En bas, les mines de charbon qui forment la vie et le destin des habitants. En haut, les chasseurs de l’aviation ukrainienn­e qui bombardent leurs frères. Entre les deux, Vladlen, le musicien, et son copain Emile, au milieu du chaos, des colonnes de miliciens et des caves à torture. Deux garçons grandis trop vite au pays de Germinal et qui commencent à en avoir assez de vivre dans des impasses. Et puis soudain, comme toujours dans le monde slave, la lumière qui déchire l’ombre, une gloire de soleil dans l’univers anthracite. Un espoir, loin du charbon, dans la beauté de la Grèce. Finalement, tout s’arrange quand on s’aime et que la guerre « vous pousse dans le dos » et vous oblige à vivre enfin. Un livre qui change le coke en or.

Olivier Maulin, Cédric Gras,

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