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L’ENFANCE, CETTE OBSCURE CLARTÉ…

- Par Enfance obscure 400 p., Folio, 7,70 par traduit de l’allemand (Autriche) par Albert Kohn, 160 p., L’Imaginaire, 7,50

l se tient près de nous, invisible, nous chuchotant à l’oreille des mots que nous avions déjà entendus, nous prenant par le bras pour ébaucher un geste qu’il nous semble avoir effectué « dans une autre vie ». Ce fantôme dont on redoute la dispersion, même si parfois sa présence peut nous plonger dans des temps qui n’étaient pas toujours heureux, c’est l’enfant qui se promène en chacun de nous, à toute heure de la vie, jusqu’au bout de celle- ci. « Le spectre frêle de l’Enfantin », comme le surnomme l’écrivain Pierre Péju, c’est la part d’enfance que nous conservons en nous et dont nul ne se débarrasse tout à fait. Mais, moins qu’une apparition qui pourrait sembler empreinte d’un surnaturel extravagan­t, l’Enfantin est « un élan soudain, une fraîcheur, mais aussi une frayeur ou une honte ». Rien à voir avec les souvenirs d’enfance, non, plutôt des secousses sismiques à peine perceptibl­es à l’intérieur de soi-même, des traversées éclairante­s entre petite enfance et présent, comme un va-et-vient entre ce qui est mort et ce qui vit, et qui, partant, forme une chaîne ininterrom­pue de perception­s étranges, se réactivant par moments sans jamais que l’on en pressente l’irruption. Enfance obscure, la méditation splen- dide de Pierre Péju sur l’enfant que nous avons été et que nous serons toujours, est aussi une démonstrat­ion sensible et argumentée sur les passerelle­s évidentes entre désir de création et présence de l’enfance jamais abolie. L’art n’est peutêtre que la continuité de l’enfance par d’autres moyens.

Dans son livre, Pierre Péju cite des passages du récit autobiogra­phique de Thomas Bernhard intitulé sobrement Un enfant, comme si celui-ci, lui en l’occurrence, n’était que le prétexte à traiter de l’universali­té de la souffrance enfantine. Car ici, bien loin de la douceur ouatée de la Bibliothèq­ue rose, Thomas Bernhard nous emmène là où ça fait mal, en insistant sur ses hontes, ses chagrins, ses douloureus­es inaptitude­s à vivre l’enfance comme autant de miroirs posés sur notre cheminemen­t personnel. Tout ce qu’il écrit – crie plutôt – pétrifie le lecteur hypnotisé par sa prose sans répit et qui y lit le récit de ses propres échecs. L’enfance, chez le grand écrivain autrichien, est un enfer que nul Enfantin ne saurait rappeler plus tard à son meilleur souvenir.

Une vie comme une autre, l’enfance que vécut dans les années 1940 l’écrivain américain Darcy O’Brien? Un condensé de vilenies, de souffrance­s, mais aussi de joies et de frissonnan­tes extases. Darcy O’Brien (1939-1998) était né à Los Angeles de parents acteurs, que l’avènement du parlant avait précipités dans une déchéance continue. Enfant soumis au capricieux style de vie d’une parentèle assez allumée, Darcy O’Brien grandit comme il put, chahuté par des parents fêtards, alcoolique­s, extravagan­ts et, disons-le, peu aptes au service d’éducation minimum. Ce très beau roman, habillé d’une mélancolie acide, n’est en rien un énième exercice littéraire consacré à la résilience, cette tarte à la crème en vogue. Les mauvais pas de l’enfance sont la promesse d’aubes meilleures.

Darcy O’Brien, Pierre Péju, Thomas Bernhard,

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HHH HHH Un enfant HHH Une vie comme une autre

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