Sur un air de 14-Juillet
Trois regards originaux sur la Révolution française, et spécialement sur la prise de la Bastille. Singulières et profitables projections.
lle a fait entrer le peuple dans l’histoire. C’est une ligne d’horizon qui nourrit notre imaginaire, après avoir fondé notre modèle de société, et les livres la raconteront toujours. Il n’en demeure pas moins frappant qu’au même moment paraissent des ouvrages très différents autour du même air – révolutionnaire, donc.
Dans 14 Juillet, Eric Vuillard montre la révolte de l’intérieur, en commençant par son point de départ : les ateliers de JeanBaptiste Réveillon à Paris, non loin de la Bastille. Le 23 avril 1789, le propriétaire de cette manufacture royale de papiers peints voulut baisser de vingt à quinze sols par jour la paye de ses ouvriers. C’était une semaine avant les Etats généraux, la famine sévissait en France, mais à Versailles Louis XVI et Necker spéculaient sur la dette. Pour l’auteur, la Révolution a débuté le 28 avril, quand les ouvriers pillèrent les ateliers Réveillon, et que les gendarmes tirèrent à volonté et firent trois cents morts. Alors, Vuillard croque le mouvement à pleines dents, écrit « la revanche de la sueur sur la treille, la revanche du tringlot sur les anges joufflus », condense les faits pour faire vivre les événements entre avril et juillet, utilise un « on » mystérieux souvent, glisse un « je » subjectif et révolté parfois. Avec lui, on court dans tous les sens, on sent monter la colère comme la foi républicaine, pour parvenir à une épure narrative : « Les fausses épées devinrent de vrais bâtons. La réalité dépouilla la fiction. Tout devint vrai. » Fable magnétique, ce 14 Juillet de 2016 est un texte qui suspend le temps. De la littérature pure et en armes.
A ce souffle intérieur répond le récit sur deux rives de Stéphane Audeguy : Histoire du lion Personne est pour sa part une fiction, dont les mouvements vont de l’Afrique à Paris. Ses héros sont des hommes, mais aussi deux bêtes : le chien Hercule et le lion Personne. Ce dernier était un lionceau quand, en 1786, il croisa la route du jeune Yacine, 13 ans, se rendant à pied au comptoir français de Saint-Louis pour se faire embaucher chez Jean-Gabriel Pelletan de Camplong, directeur de la Compagnie royale du Sénégal (personnage réel, il fut un compagnon lointain des Lumières, un ennemi juré de l’esclavagisme). Adopté par Yacine puis par Pelletan, l’animal est alors aussi rejeté que le notable, aux moeurs dévoyées pour l’époque. Direction la Normandie, Versailles, puis la ménagerie de Paris, alors que gronde la révolution. Laquelle, ayant affirmé l’égalité entre les hommes pose aussi la question des relations avec les animaux. C’est la Convention qui, guidée par les scientifiques des Lumières, inaugurera la ménagerie du jardin des Plantes et le Muséum national d’histoire naturelle à Paris. C’est aussi cette face de l’histoire que retrace ce roman animalier et spirituel, où l’on voit oeuvrer quelques grands noms bien réels, avec des personnages fictifs marquants. A travers l’histoire fort belle de ce lion, au nom transparent et universel : Personne. Premier roman d’un homme qui pratique et enseigne les arts plastiques, Sauve qui peut (la révolution) pose un regard contemporain sur les événements de 1789. L’auteur imagine un Jean-Luc Godard contacté par Jack Lang en 1988 : la mission du bicentenaire de la Révolution française lui commande un film dans le cadre des festivités de 1989. Comme le cinéma de Godard lui-même, ce roman de Thierry Froger porte sur les méandres de la création artistique. Mettant en scène le réalisateur obsédé par le temps et par l’ellipse, imbriquant des personnages réels (la compagne du cinéaste, ou encore Jean-Pierre Léaud et les actrices Isabelle Huppert et Juliette Binoche), incluant des notes et des plans de tournages fantasmés où il se « paye » son Godard de fiction, le livre entremêle trois temporalités, dont l’une traite de Robespierre et Danton. Réflexion sur la tragédie de l’histoire, ce roman porte un regard singulier sur la matière de l’histoire elle-même, et répond intelligemment aux deux autres. Hubert Artus
Les fausses épées devinrent de vrais bâtons. La réalité dépouilla la fiction. Tout devint vrai Stéphane Audeguy, Thierry Froger, Eric Vuillard,