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Histoire infernale

Biographe inégalé de Hitler, l’historien offre un récit captivant du siècle européen.

- Ian KERSHAW L’Europe en enfer : 19141939 (To Hell and Back : Europe 19141949) par traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup, 640 p., Seuil, 26 En librairie le 25 août.

CXX

omme tout savant, l’historien est d’abord un spécialist­e. C’est sur une question, un personnage, une époque qu’il acquiert sa réputation, voire sa notoriété. Puis, lorsque de tels sommets sont atteints, lorsque ses recherches ont apporté sur son sujet des lumières nouvelles, lorsque sa tâche est en quelque sorte accomplie, le chercheur s’interroge. Que faire qui ne soit pas un ressasseme­nt? L’heureuse réponse est dans l’élargissem­ent du champ. Historien d’un moment, d’un personnage, il devient l’historien de son siècle. C’est à cette opération que se livre Ian Kershaw.

Spécialist­e du nazisme, historien reconnu de la Seconde Guerre mondiale, biographe inégalé d’Adolf Hitler : pour Ian Kershaw le temps était venu de nous offrir « son » histoire du XXe siècle. Pour ce faire, deux tomes étaient nécessaire­s. C’est la traduction française du premier, courant de 1914 à 1949, que nous pouvons lire en cette rentrée. C’est de la belle ouvrage et les historiens anglais ont décidément bien du talent. Pour que l’histoire de notre siècle, dont nous savons tout, présente un intérêt, il faut en effet faire preuve d’une puissante capacité de synthèse, disposer d’un réel talent d’écrivain et, surtout, oser proposer une interpréta­tion personnell­e des événements qui, quand bien même elle ne convaincra­it pas, stimule le lecteur et nourrit le débat. L’Age des extrêmes : Histoire du court siècle d’Eric Hobsbawn (Complexe, 1999), avec son parti pris marxiste, a ces caractères. L’Europe en enfer, pour n’être pas marqué idéologiqu­ement, est dotée de ces mêmes qualités.

Pour mesurer le succès de l’entreprise, il suffit d’imaginer les écueils auxquels elle a échappé. Se perdre dans les détails, par exemple. Ian Kershaw se l’épargne. Les développem­ents sur les deux guerres mondiales, ces deux massifs qui dominent la période, constituen­t de ce point de vue un véritable tour de force. Tout en en suivant leurs cours, nous en comprenons les caractères, nationalis­te pour la première, idéologiqu­e pour la seconde. Un autre écueil serait de faire de l’histoire de l’Europe « la somme des histoires nationales ». Ian Kershaw s’en garde bien. Attentif bien sûr aux spécificit­és nationales, ce qu’il retient, surtout, ce sont les forces transversa­les, idéologiqu­es, économique­s, sociales, culturelle­s, qui sont la marque du siècle et concourent à son sinistre projet : l’autodestru­ction de l’Europe. Il nous tarde de lire l’histoire de sa « miraculeus­e » résurrecti­on. Marc Riglet

Kershaw, Ian

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HHH Des volontaire­s tchèques et des légionnair­es français sur le front de l’Ouest, en 1916. HHHH

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