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Des poissons dans l’eau

David VANN Confinées dans un appartemen­t de la banlieue de Seattle, une mère et sa fille vivent un rapport fusionnel, jusqu’au jour où l’adulte découvre l’étonnante amitié de son enfant avec un homme…

- Aquarium par traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laure Derajinski, 280 p., Gallmeiste­r, 23

Après les lacs glaciaires et les îles sauvages de l’Alaska puis la fournaise californie­nne, David Vann a choisi les couloirs sombres troués de lumières pâles d’un immense aquarium comme décor de son nouveau roman. Dans cette gangue à la fois apaisante et hors du monde, la jeune Caitlin regarde, fascinée, un univers marin d’une étrange beauté. Chaque après-midi, en sortant de l’école, près de Seattle, la fillette de 12 ans file ventre à terre pour scruter le bassin de corail, débusquer les minuscules hippocampe­s pygmées ou s’extasier devant les nageoires presque transparen­tes des poissons fantômes. Dans un silence à peine troublé par le pas des visiteurs, elle attend le passage des requins, surveille le ballet des méduses. Plus tard, elle se l’est promis, Caitlin sera ichtyologi­ste et ne mangera jamais de poisson.

En changeant d’horizon, le romancier américain n’abandonne pas ses obsessions. Il continue de préférer des lieux clos ou isolés, comme la scène d’une tragédie grecque où les personnage­s se comptent sur les doigts d’une main. Après l’opposition père-fils dans Sukkwan Island ou celle d’un couple à la dérive dans Désolation­s, il se penche sur les relations fusionnell­es d’une mère et de sa fille, brusquemen­t modifiées par l’apparition d’un vieil homme sorti de nulle part, qui vient réveiller le passé. La famille reste le socle de son imaginaire, mais l’auteur a décidé, à la fin de sa belle tétralogie ( Sukkwan Island, Impurs, Désolation­s et Goat Mountain), de prendre ses distances avec l’autobiogra­phie, plus ou moins déguisée en roman noir. Aquarium est une oeuvre marquée par le secret : celui d’une mère vis-à-vis de sa fille, celui d’un père qui vient chercher

• le pardon après avoir fui ses responsabi­lités. Cet espace fermé où Caitlin se retrouve chaque jour avec impatience ressemble à un ventre protecteur plein de liquide amniotique. « Quand je contemple une méduse lunaire, sa constellat­ion en ombrelle qui pulse dans la nuit infinie, je me dis que tout ira bien, peut-être. » Elle se sent en sécurité tandis qu’à l’extérieur la vie est rude, froide, hostile. A la moiteur de l’aquarium répondent les faubourgs d’une ville sans âme : d’im- menses baies de béton, des revendeurs de tracteurs, des parkings gigantesqu­es, aucun commerce et un seul fast-food. Sheri, la mère, travaille comme grutière au port de Seattle, un travail d’homme qui a transformé son corps, lui a donné une force surprenant­e et des réactions de fausse dure à cuire. Quand elle apprend l’identité du vieil homme qui retrouve Caitlin chaque jour, sa haine devient hystérie, violence et débordemen­t. Les deux femmes vivent de peu, mangent mal, en attendant des jours meilleurs. Leur appartemen­t sans grâce est aussi leur aquarium, mais le halo bleu n’est que la télévision allumée en permanence. Elles s’aiment sans savoir se le dire, cherchant ailleurs des compensati­ons à cet amour dévorant. On pourrait glisser rapidement vers le drame, mais il s’agit plutôt d’incommunic­abilité dans ce livre magnifique porté par une écriture poétique surprenant­e qui ne cherche jamais les effets. Cette fois, l’enfant ne paiera pas pour les adultes, car elle sait aimer et être aimée.

Autre changement de point de vue, David Vann imagine des personnage­s secondaire­s solaires. Un petit ami pour Sheri, Américain souriant et bien nourri, un peu benêt. Une copine pour Caitlin, prénommée Shalini, originaire de New Delhi, les bras couverts de bijoux et issue d’une famille d’intellectu­els.

Aquarium a quelque chose du conte et de la fable, comme les précédents ouvrages de David Vann. Il nous glisse également une leçon d’écologie quand les chapitres s’ouvrent sur des dessins de poissons étranges en voie de disparitio­n. Mais il se collette aussi au roman social en photograph­iant les habitants des grandes banlieues américaine­s victimes de la paupérisat­ion.

David Vann est né sur une île, en Alaska. Depuis, il ne cesse de voyager, parcourant les mers comme d’autres la route 66. Il affirme écrire au fil de la plume, sans principe et sans plan. Personne ne peut croire ça. Son nouveau roman chemine avec précision vers une rédemption possible. Il est une grande déclaratio­n d’amour à l’enfance qu’il ne faut jamais cesser de protéger. Christine Ferniot

glisser rapidement vers le drame, mais il s’agit plutôt d’incommunic­abilité David Vann,

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