Trahison assurée
En France, le théâtre public et le privé se disputent le gentil peuple des amateurs avec intransigeance et fureur, comme s’il s’agissait d’une guerre de religion. Mais la partie est trop inégale : l’un vit des subventions des contribuables, n’est pas soumis à l’obligation de remplir la salle et obéit au seul goût ou caprice de son directeur ; l’autre, pour survivre, est condamné au succès sous peine de faillite et n’a point de cahier des charges.
La Comédie-Française, en inscrivant à son programme le scénario du film culte de Jean Renoir, La Règle du jeu, se soumet aux désirs de son administrateur, Eric Ruf. Cet éminent sociétaire (et excellent acteur) a décidé d’ouvrir le Théâtre-Français aux temps modernes. Il a choisi pour metteur en scène une Brésilienne connue sur les scènes d’art et d’essai et lui a donné carte blanche. Hélas ! Le résultat est scandaleusement indigne de notre première scène nationale : coûteux certes, mais médiocre, vulgaire, trahissant son devoir de servir, avec le talent rare de ses acteurs, le grand répertoire dramatique et littéraire de la France.
Sur la scène (privée) du légendaire théâtre de l’Atelier, l’excellent metteur en scène Didier Bezace a choisi d’adapter un bon roman de Jean-Paul Dubois : c’est la dramatique histoire d’un homme miraculeusement échappé d’un accident d’ascenseur qui a coûté la vie à sa fille. Notre Sneijder revit son drame avec un désarroi nappé d’humour grinçant. Elegante mise en scène, acteurs sublimes, Arditi bien sûr, mais aussi un vrai génie, Thierry Gibault.
La morale de ces deux spectacles si dissemblables, c’est que l’adaptation au théâtre d’un scénario, d’un livre, d’un texte qui n’a pas été conçu pour la scène est fatalement une trahison, toujours indigne de l’oeuvre qui l’a inspirée.
La Règle du jeu d’après Jean Renoir, mise en scène de Christiane Jatahy, Comédie-Française, place Colette, Paris 1er, en alternance jusqu’au 15 juin. Le Cas Sneijder d’après Jean-Paul Dubois, mise en scène
de Didier Bezace, théâtre de l’Atelier, 1 place Charles-Dullin, Paris 18e, du mardi au samedi à 21 heures, matinées le samedi à 18 heures et le dimanche à 15 heures.