ÉLECTIONS, PIÈGE À FICTIONS
La campagne présidentielle n’en finit pas d’inquiéter et de cristalliser les peurs. Dans un climat politique tendu, plusieurs écrivains s’emparent du moment électoral pour en faire la matière de leur livre. En écrivant l’avenir, ils proposent leur program
Jamais campagne présidentielle n’aura été si romanesque. Rebondissements, coups de théâtre, suspense, incertitude grandissante… Rien ne se passe comme prévu, à l’instar du titre du livre que Laurent Binet, en 2012, consacrait à l’accession au pouvoir de François Hollande. Du mythe du grand récit national jusqu’aux batailles de storytelling des candidats, l’élection à la magistrature suprême est un formidable réservoir d’histoires dans lequel la littérature aime à puiser. Mais, cette fois-ci, tous les scénarios écrits à l’avance se dérobent. Constatant le délitement des récits et des imaginaires collectifs, les écrivains se saisissent des outils de la fiction et proposent leur programme.
Plusieurs d’entre eux choisissent de se frotter à l’exercice périlleux de l’anticipation proche. Avec, pour dénominateur commun, l’hypothèse de moins en moins improbable d’une victoire de l’extrême droite. Dans La Nuit du second tour (Albin Michel), Eric Pessan imagine la soirée qui verrait le Front national accéder au pouvoir, à travers les errances croisées d’un couple séparé depuis peu. David, ébranlé par le résultat de l’élection, déambule dans une ville à feu et à sang assiégée par des manifestants, des émeutiers, des citoyens en colère. Mina, elle, a pris le large, se réfugiant sur un cargo qui file vers les Antilles. « J’ai voulu écrire un roman sur la manière dont la perte de repères et le marasme politique et sociétal peuvent contaminer notre intimité, explique le romancier. Mon livre ne prétend pas changer le monde, mais plutôt, je l’espère, offrir aux lecteurs une communauté de questionnements et de craintes. Car je suis loin d’être le seul à ressentir du désarroi. Quelle que soit l’issue du scrutin, les doutes et les interrogations vont subsister. »
Sondant lui aussi les destinées d’une République à la dérive, le journaliste Thomas Bronnec se projette un peu plus loin dans le calendrier électoral, au moment des législatives. Campé à l’été 2017, son thriller En pays conquis (Série noire/Gallimard) raconte comment, au lendemain du « troisième tour », le gouvernement sans majorité doit pactiser avec les extrémistes du « Rassemblement national », entrés en force à l’Assemblée avec soixante-sept députés… Tendant au lecteur un miroir déformé de la réalité, Thomas Bronnec donne corps et décor à des problèmes bien réels : montée du populisme, règne sans merci ( et désastreux) des communicants, estompage des clivages traditionnels au profit d’une opposition entre « patriotes » et défenseurs de l’Europe… Côté diagnostic, le personnage de Claude Danjun, conseiller spécial à l’Elysée, n’est pas des plus optimistes : « Je sais ce que tu penses. Tu te dis que le pouvoir n’est plus chez les politiques. Je ne peux pas te donner complètement tort », lâche-t-il à Antoine Fertel, un ancien haut fonctionnaire reconverti dans la finance…
Parce qu’une fois l’élection remportée, encore fautil réussir à régner ! « On fait campagne en vers, mais on gouverne en prose », disait Mario Cuomo, ancien gouverneur de l’Etat de New York. Un adage cité par Quentin Lafay dans son premier roman, La Place forte ( Gallimard). Le jeune romancier, actuelle plume d’Emmanuel Macron, nous glisse dans la peau d’un économiste propulsé ministre des Finances… A peine nommé, Béranger Thérice réalise qu’on l’a choisi non pas pour ses convictions, mais pour ses compétences techniques. Mal dans son costume, se sentant prisonnier d’un appareil d’Etat rouillé et archaïque, il ne tiendra que six jours. Le temps de livrer, entre les lignes, une grinçante satire de la vie en cabinet ministériel. Celleci s’avère rigide, arriérée, souvent à côté de la plaque. Désacralisée, la fonction d’homme d’Etat en prend pour son grade. Dans un registre plus humoristique, on citera aussi La Plume de Virginie Roels (Stock), un roman audacieux et caustique où l’on croise, entre autres, un président de la République qui « perd les pédales devant cinq millions de téléspectateurs » et un « étudiant de Sciences Po modeste, isolé, à l’inspiration naïve, dont le destin va s’accélérer ».
Prenant nos désillusions politiques comme matériau romanesque, ces récits n’accordent que peu de place à l’espoir, aux rêves, à la construction d’un avenir meilleur. Un seul romancier – le Belge Grégoire Polet – prend le parti de l’utopie, imaginant dans TOUS ( Gallimard) l’ascension d’un grand mouvement de démocratie directe, en France et dans toute Europe. Est-ce à dire qu’en politique comme en littérature, l’espoir ne fait plus vivre ? Estelle Lenartowicz
« IL S’AGIT D’OFFRIR AUX LECTEURS UNE COMMUNAUTÉ DE QUESTIONNEMENTS ET DE CRAINTES »