HERVÉ LE CORRE
Finalement, Franck est simplement passé d’une prison à une autre. Cinq ans derrière les barreaux à payer seul pour un braquage, mais pas de nouveau départ dans la vie, pas un instant de répit, le nez au vent à flotter librement dans la grande ville. Juste un chemin poudreux menant à une vieille baraque entourée d’épaves rouillées. Le voilà encore à la périphérie du monde, près des forêts de Gironde où les pins forment d’oppressantes lignes droites sur le sable noir. Franck espérait voir son frère, Fabien, histoire de faire un peu la fête pour gommer les mauvais souvenirs, mais c’est Jessica, la copine du frangin, qui est venue le récupérer à l’Abribus de Gradignan. Une fille phosphorescente avec ses jambes bronzées, ses shorts trop serrés et sa bouche étonnamment fraîche en cet été torride qui rend les corps plus moites. Près d’elle, il y a sa famille, des gens qui sentent l’embrouille et le malheur, les mauvaises fréquentations et les trafics. Et l’attente s’éternise dans cette fournaise un peu sale, entre les parents et la petite dernière qui ne parle pas, mais n’a pas les yeux dans sa poche.
Le décor est planté, l’intrigue est simple, squelettique même, car le bouleversement est ailleurs. Dans l’écriture bien sûr, descriptive et brutale comme le monde qui entoure les laisséspour-compte d’une société dissimulant ses précaires à l’écart des cités. A la mécanique du thriller qui aime bien rajouter de l’huile dans les rouages, Hervé Le Corre préfère les grincements rageurs, les perdants à la poursuite de leur enfance, les belles filles dangereuses, à la fois toxiques et tragiques. Il n’y a pas de héros avançant la tête haute dans ce livre qui salue Aragon, mais des personnages tournant autour d’un piège avant de s’y laisser tomber inévitablement. Voilà du grand roman noir, marchant dans les pas de Chris Offutt, Daniel Woodrell ou Cormac McCarthy, sans avoir besoin de les imiter.
A noter : la réédition des Coeurs déchiquetés (Rivages/Noir).