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JORDAN HARPER

- Baptiste Liger

C’est un constat, certes contestabl­e : « On est devenus cupides, tous autant qu’on est. Rien de mal à ça. » Voilà ce qui réunit bon nombre des personnage­s de l’excellent recueil de nouvelles de Jordan Harper, histoires à l’os, dont l’atmosphère rappelle Donald Ray Pollock ou Daniel Woodrell (l’auteur de Winter’s Bone). On ne cite pas par hasard l’univers de ce dernier, puisqu’une bonne partie des trames se situent dans les Ozarks, où les habitants disposent d’environ « deux semaines de printemps avant qu’il se mette à faire plus chaud que dans la culotte d’une putain » . Originaire de cette région – où l’on fabrique encore de la « meth » , à la manière des nazis –, Goth Mashburn connaît bien le profil des autochtone­s, « aussi blancs qu’un crâne d’albinos », qui détestent « les nègres et les juifs – on pourrait aussi bien haïr les Martiens ». Cette petite ( mais costaude) frappe nous raconte ainsi le parcours d’un dénommé Joe McClure qui, après avoir ouvert le crâne d’un cador au Jackie Blue’s à coups de marteau, s’est vu attribuer le surnom de Mad Dog McClure. Dans ce troquet, on rencontre aussi des jeunes femmes qui cherchent d’abord à « boire du Wild Turkey », puis à « tirer un coup » – même si cela cache sans doute d’autres desseins. Au-delà du climat de ces tranches d’Amérique, Harper sait en quelques lignes portraitur­er un personnage à la lisière du cliché, qu’il singularis­e par quelques détails : un dresseur de chiens refusant d’envoyer à la mort l’une de ses bêtes – dont il n’est toutefois pas le propriétai­re –, un spécialist­e du nettoyage de scènes de crime qui trouvera l’amour devant un cadavre, ou une fille un peu enrobée rêvant d’une carrière à la Bonnie & Clyde afin de s’offrir un anneau gastrique et de nouvelles fringues – « le genre d’habits qu’ils montrent dans les vitrines des magasins du centre commercial ». On trouve même ici des envolées romantique­s, ayant certes un goût particulie­r, comme celle de l’amoureux de la (formidable) nouvelle-titre n’acceptant pas de voir son cher et tendre se vider de son sang suite à un braquage raté et que leur boss refuse d’envoyer à l’hôpital. « Il dit qu’il se servira de notre viande pour apprendre au chien à avoir faim de chair humaine. Il dit que si j’ai tellement envie d’être avec toi, on peut toujours se mélanger dans le cul de son chien. » Franchemen­t, connaît-on propositio­n d’amour plus radicale ?

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(Love and Other Wounds) par Jordan Harper, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 192 p., Actes Sud/Actes noirs, 19 €
L’AMOUR ET AUTRES BLESSURES (Love and Other Wounds) par Jordan Harper, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 192 p., Actes Sud/Actes noirs, 19 €

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