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PERDU DE VUE

HUGUES PAGAN

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Avec son roman noir doublé d’une grande histoire d’amour, Hugues Pagan, figure majeure du polar des années 19801990, fait un retour en fanfare. Portrait d’un ex-prof de philo insaisissa­ble, devenu flic, écrivain et scénariste…

On croyait qu’il était décédé – ou, comme on le dit dans la police, « Delta Charlie Delta ». Il faut remonter en effet à l’année 1997 pour retrouver une trace – à savoir la parution de Dernière Station avant l’autoroute – du citoyen Hugues Pagan, cador du roman ( très) noir français des années 1980-1990. Des débuts en fanfare en 1982 avec La Mort dans une voiture solitaire, puis quelques sombres bijoux comme L’Eau du bocal, Last Affair, Les Eaux mortes ou L’Etage des morts (devenu au cinéma Diamant 13). Et, soudain, plus aucune nouvelle – tout du moins en librairie. Les génériques de quelques séries télévisées nationales ( Nicolas Le Floch, Mafiosa, le clan, Un flic et Police District) pouvaient ainsi se targuer du nom de Pagan, crédité comme scénariste voire « créateur ». Le petit écran paie davantage, dit-on. Mais le disparu- retrouvé explique ce retour pour d’autres raisons. « Je croyais que j’avais le temps. Récemment, j’ai compris que tel n’était pas le cas. » Le titre de son dernier (et excellent) roman, Profil perdu, prend alors des airs de mise en abyme, mais aussi du fait de l’univers de l’ouvrage renouant avec l’esthétique d’une autre époque. « J’ai bien dit à Guérif [son éditeur, chez Rivages] que c’était une connerie de prendre ce livre, s’amuse ce faux Lazare, qu’il allait encore perdre du blé, que c’était pas à la mode, qu’on aurait tous les petits marquis sur le dos. Il l’a pris quand même. Allez savoir pourquoi… » Au vu de la qualité du texte – et de son parcours, atypique…

Alors qu’il était âgé de 7 ou 8 ans, sa mère lui prédit qu’il serait écrivain. « Elle était directrice d’école, je voulais être pilote de chasse. Elle avait raison, si peu que je le sois, mais je ne le savais pas… » Ce garçon – qui a grandi en Algérie jusqu’à l’âge de 16 ans –, a alors suivi des études sérieuses (trois licences à l’appui !), se découvrant une passion pour des plumes aussi variées que Céline et Dos Passos, Sénèque et Chamfort. Beaucoup Pascal, aussi. « Et puis tous les bluesmen, à la poésie directe et brutale et l’imparable sagacité. » Un (bref) temps professeur de philosophi­e à Gérardmer, il multiplie les boulots – dans les journaux ou la banque – avant de devenir inspecteur de police en 1973. Vingt- cinq ans au service des « bleus » – entre Nancy, Dijon, Belfort, Cannes et Paris – qui ont fait très tôt déchanter son idéalisme. Son expérience dans la police, elle lui « a permis de distinguer à coup sûr un pistolet d’un revolver, de savoir qu’il n’y a pas encore de mandat de perquisiti­on en France, qu’une douille fait partie d’un projectile, etc. Rien que des détails sans vraie nécessité. »

Ce come-back, aujourd’hui, avec Profil perdu a même des airs de retour aux origines puisque Pagan renoue explicitem­ent avec son premier roman – dont Schneider était déjà le héros, et Cheroquee, le pivot. Curieux phénomène de hantise. « Schneider est mort en 1982. J’ai voulu parler de lui et de cette femme, la femme de sa vie et qu’il avait perdue. » Ecrit il y a presque vingt ans, Profil perdu a été maintes fois retouché, repoussé. « Je ne voulais pas partir sans raconter cette fulgurante histoire d’amour – le reste, vous savez… » Le soir du 31 décembre 1979, dans l’est de la France encore marqué par le spectre de la guerre, l’inspecteur Schneider est en effet appelé pour un petit imprévu : son collègue à la tête de « pâtre grec », Meunier, a été froidement abattu quelques heures après l’interrogat­oire d’un (peut-être pas si) petit dealer, Bugsy. Allez savoir s’il y a un lien. Cela tombe mal pour Schneider, lui qui pensait passer une belle soirée, dans une Lincoln Continenta­l 1969, avec une fille à « la bouche en colère », Cheroquee. Une créature à la poitrine opulente dont le profession­nel ne sait pas encore qu’elle va fracasser son coeur de pierre… C’est ainsi que démarre ce noeud d’intrigues formidable­ment entrelacée­s mais refusant le rebondisse­ment facile, au style flamboyant mais jamais démonstrat­if et aux personnage­s d’une grande richesse. « Vous savez, un écrivain, c’est juste le type qui sait plus ou moins rabouter des destins malades, analyse Pagan. Un personnage, c’est un homme qui apparaît un jour, qui passe ou qui s’attarde. Vous ne pouvez pas imaginer les heures que j’ai passées à boire le coup avec eux, à les écouter raconter leurs histoires. Il faut du temps, pour cela, de la patience. » On se permettra juste d’ajouter ceci : du talent ! Baptiste Liger

VOUS SAVEZ, UN ÉCRIVAIN, C’EST JUSTE LE TYPE QUI SAIT PLUS OU MOINS RABOUTER DES DESTINS MALADES

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Profil perdu par Hugues Pagan, 420 p., Rivages, 19,90 €

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