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Entre chiens et lourds

Philippe CLAUDEL, Jules GASSOT, Noëlle REVAZ Trois recueils de nouvelles sarcastiqu­es qui nous ramènent à notre condition de pauvres créatures.

- Baptiste Liger

Nous sommes tous très bêtes. Aussi bien au sens de l’animalité qu’à celui de la sottise. Pour nous le rappeler, la nouvelle s’avère une arme redoutable­ment efficace. On s’en rendra compte à la lecture de trois recueils parmi les plus intéressan­ts du moment.

Les (anti)héros d’Inhumaines de Philippe Claudel s’appellent Turpon, Brognard, Fournier, Guichard, Morel ou Durand et pourraient voir leur existence résumée à leur appartenan­ce à tel ou tel service. Le sexe est souvent triste, dans ces vingtcinq brefs textes, au style aussi clinique que saccadé, rappelant Régis Jauffret ou Edouard Levé. Il y a bien les gadgets érotiques et les parties de strip-poker virant à la séance de torture, mais ne vaut-il pas mieux tenter une partie fine dans un jacuzzi avec des poissons? On peut également s’amuser en jetant du haut d’un pont surplomban­t l’autoroute des projectile­s. Avec plus ou moins de bonheur, l’humour noir de Claudel n’épargne ni les pauvres, ni les vieux, ni les cancéreux – encore moins le président – et nous met face à l’ironie d’expression­s comme le « vivre ensemble » ou la « réduction de la fracture sociale ».

Sans doute Jules Gassot a- t- il longtemps médité cette phrase de Charles Bukowski – grand amateur de clébards devant l’éternel : « Les chiens ont des puces, les hommes des emmerdes. » Révélé avec son premier roman On a tué tous les Indiens, il propose avec Un chien en ville douze contes tragi-comiques à travers le monde, mettant en scène des toutous (qui nous parlent) et leurs maîtres. On aura une tendresse pour le lévrier irlandais d’un antiquaire belge un peu véreux, le berger picard avaleur de bague et le chow-chow à langue bleue d’une danseuse chinoise devenue prostituée. A travers ces portraits racés, Jules Gassot réunit judicieuse­ment les cabots de toutes tailles. Et avance ceci : « Quitte à vivre dans un monde d’hommes, autant y être un chien ! » L’un des personnage­s d’Hermine Blanche et Autres Nouvelles reçoit un teckel en cadeau et l’on croise le molosse Benito prêt à manger un chat. A travers cette trentaine de contes pas si naïfs, la Suisse Noëlle Revaz décortique entre autres l’absurdité de la famille, entre des soeurs qui s’appellent toutes Marie, un grand-père qui préfère voir son petit-fils « écrabouill­é sur la route » que de le découvrir menteur et des voix qui imaginent ce qui se passera « quand Mamie sera morte ». On appréciera aussi l’élégance d’un certain Laurent considéran­t les femmes comme « des objets » et un maître accusant ses petits élèves d’être des voleurs. Il y a une délicate cruauté dans ces textes un poil trop appliqués, mais parfaiteme­nt tenus dans l’écriture.

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 ??  ?? HH Inhumaines par Philippe Claudel, 144 p., Stock, 16,50 € HH Un chien en ville par Jules Gassot, 170 p., Rivages, 18 € En librairie le 5 avril. HH Hermine Blanche et Autres Nouvelles par Noëlle Revaz, 288 p., Gallimard, 18 €
HH Inhumaines par Philippe Claudel, 144 p., Stock, 16,50 € HH Un chien en ville par Jules Gassot, 170 p., Rivages, 18 € En librairie le 5 avril. HH Hermine Blanche et Autres Nouvelles par Noëlle Revaz, 288 p., Gallimard, 18 €
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