Nous voilà!
L’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 a-t-elle fait basculer le conflit? Avis divergents…
On sait l’entrée tardive – le 6 avril 1917 – des Américains dans la Grande Guerre. On sait le voeu que formaient les Alliés de les voir entrer en lice. On sait la part prise par leur président, Woodrow Wilson, dans le choix précipité de l’armistice et l’influence qu’il exerça dans le règlement du conflit. On croit savoir, encore, que l’intervention militaire américaine fut décisive dans la victoire des Alliés. Nul n’ignore, enfin, que le sentiment d’une vieille dette à honorer envers la France était censé être au principe de leur engagement et que ce sentiment s’était exprimé dans la forte parole du commandant des premières troupes débarquées, le général Pershing : « La Fayette, nous voilà ! » Dans la première salve des nombreux ouvrages promis par la commémoration de cette séquence historique, retenons-en quatre, de deux sortes.
La première sorte relève du genre documentaire. Ainsi, Bruno Cabanes, universitaire américain spécialiste de la Grande Guerre, propose un recueil de photographies issues du fonds du ministère français de la Défense et des archives américaines. Ces images présentent au moins deux intérêts. Celles qui touchent à l’engagement des troupes américaines sur le front français sont à la fois abondantes et largement inédites. Celles qui présentent la société américaine dans la guerre sont, au-delà de leur caractère propagandiste, fort instructives de la réticence profonde à s’y engager. Le deuxième ouvrage, dans le même registre de l’illustration, est une curiosité. Il est dû au capitaine Alban Butler, aide de camp du général Summerall, chef des premières troupes américaines engagées sur le front occidental. Ce capitaine, au joli coup de crayon, fournit régulièrement en dessins humoristiques la gazette de l’armée américaine. Truffés de stéréotypes – le Français crasseux, l’Allemand bestial, le Noir abruti – ces dessins valent précisément pour cela.
Avec les deux autres ouvrages, nous abordons les choses sérieuses. La question est la suivante : l’entrée en guerre des Etats-Unis à l’été 1917 fut-elle décisive dans son issue? Pour Hélène Harter, la réponse est celle attendue : « Les USA ont permis de remporter la Première Guerre mondiale » ; « l’armée américaine a joué un rôle majeur dans la victoire alliée en fournissant troupes, matériels et financement. » Pour Dominique Lormier, l’idée reçue est pulvérisée. Il s’agit d’un « mythe » et même, ose-t-il, d’une « supercherie ». Le plus étonnant est que l’un et l’autre historiens invoquent les mêmes faits, fournissent les mêmes données, souscrivent aux mêmes analyses ! Soit : l’armée américaine n’est engagée que dans les six derniers mois de la guerre, son inexpérience gène plutôt qu’autre chose, elle dépend entièrement, pour son matériel militaire et son approvisionnement, de la production française, ses pertes sont inférieures à celles des armées belges et bulgares réunies ! Bref, on se demande encore comment Hélène Harter a pu attribuer à l’intervention américaine un « rôle majeur » dans la victoire des Alliés. On préférera la très intéressante contribution qu’elle apporte à l’analyse de la société politique américaine tourmentée par son isolationnisme et déboussolée par les palinodies neutralistes de son président. M.R.