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Jeu de mains…

Les confidence­s d’un homme qui s’est dévoué à la musique.

- Alexandre THARAUD

Granules blanches et petites notes noires. Le pianiste Alexandre Tharaud, grand insomniaqu­e, ne voyage jamais sans sa pharmacopé­e douce ni ses tonnes de partitions. Tharaud prend soin de lui : piscine, nourriture adéquate, sommeil. Il arpente la planète. Avions et valises en transit. Ce premier livre, sans la moindre posture éthérée, introduit à l’ascèse du pianiste de concert, condamné à l’excellence jamais acquise. Ce moine soldat du clavier, accompagné de son accordeur, subtil mécanicien des sonorités célestes, se tend comme une

flèche vers le seul but, le récital. Pas un geste, une minute ne doivent être gaspillés, mieux, ils doivent fructifier. Le Conservato­ire national, bien sûr. Le jeune Tharaud y a fait ses gammes, simples préliminai­res à l’art si rare de faire chanter le piano. Faire silence. Le corps ne doit pas être dompté, mais apprivoisé dans la souplesse pour donner le meilleur, en vue du grand jeu : l’entrée en scène qui décide de tout le reste. Hanté par le fatal trou de mémoire, Tharaud ne joue qu’avec son « tourneur de page », l’aide indispensa­ble, embarqué, lui aussi, dans le déferlemen­t sonore. Les deux arrivent toujours à bon port. Son agent veille dans la coulisse et parmi le public. Le pianiste est pris dans un rituel inchangé depuis Liszt et Chopin. Un homme vêtu de noir entre sur scène, règle la hauteur de son tabouret, attaque la première note qui ébranle l’acoustique de la salle et met le public sous tension. Les Variations Goldberg de Bach déploient leur architectu­re de cathédrale dans une polyphonie étagée. La dernière sonate de Beethoven atteint son dénouement. Le toucher de l’attaque. Un accord enfoncé dans le clavier. Le son percutant ou velouté, le « beau toucher », émane d’un simple coup de marteau avec ses étouffoirs, plombs, attrapes, cordes, fourches, bâtons d’échappemen­t, tiges et lames. Jouer du piano est à la fois acte charnel et amorce froide. Corps et mécanique ne font qu’un, et c’est bien là le miracle. On aurait pu s’en douter, Alexandre Tharaud n’aime guère les cocktails et trouve le public parisien qui toussote plutôt sans gêne. Lors d’une inévitable dédicace, une dame en pâmoison lui demande de lui montrer ses mains. Son illustre aîné, Christian Ivaldi, aimait à dire, pour conjurer ce tripotage idolâtre : « Je ne vous serre pas la main, elles sont pleines de fausses notes. » Le soliste est, disait Rubinstein, habitué à la mort. Il passera toute sa vie face à ce grand cercueil verni. Le Steinway, cette somptueuse forme oblongue qu’Alexandre Tharaud sait faire chanter comme personne.

Alain Rubens

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Tharaud, 224 p., Grasset, 17 €
HHH Montrez-moi vos mains par Alexandre Tharaud, 224 p., Grasset, 17 €

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