Au bout du chemin
Le grand Mattotti nous revient avec, en prime, le non moins grand Kramsky. Le duo ( Labyrinthes, Murmure…) nous avait laissés au bord de la route, éblouis, une fois de plus, avec Docteur Jekyll & Mister Hyde. Et soudain on s’aperçoit que ce dernier ouvrage en commun est sorti en 2002. On s’en rend compte parce qu’enfin un nouvel album paraît, et l’on n’est pas au bout de nos surprises car ce gros volume, qui pèse bien ses quatre cents pages, imprimées sur un papier chaud et grenu, est en noir et blanc. L’effet, sur le mattottien de stricte observance, est un peu dérangeant, il faut le reconnaître – même si ce n’est pas exactement la première fois que Lorenzo nous fait le coup. Outre la poésie des scénarios et la force expressionniste du trait, le grand charme de Mattotti ne tient-il pas dans la couleur, fulgurante? Guirlanda refermé, on demeure troublé ; c’est un peu comme si un nouveau Mattotti était né, un Mattotti qui va à l’essentiel, renonce à certaines facilités sensuelles pour nous raconter une fable hors du temps, où il est question du couple et de l’enfant, de la lutte pour la vie et de la nécessité du rituel – occasion de superbes explosions graphiques. On n’est pas sur Terre mais sur la planète Guirlanda, le héros auquel on s’identifie n’est pas un humain mais un Guir, il croise sur son chemin des Museaux Fripés et des Zirbecs, et le chamane qui tyrannise les Guirs est une sorte d’énorme crustacé dénommé Lent des Pinces. Magie comprise, tout cela est assez terrorisant, mais la fable – un conte avec une morale au bout – s’ouvre à la fin sur l’espoir d’une renaissance. A condition d’y retrouver la constante inconstance du bien et du mal, puisqu’aussi bien, « comme on dit en Guir, si tu n’es pas encore arrivé, marche »… P.O.