3 raisons d’aimer Gérard
Le talent de Mathieu Sapin : Habitué à croquer les coulisses d’institutions aux portes closes ( Libération dans Journal d’un journal, la campagne de François Hollande dans Campagne présidentielle, l’Elysée dans Le Château), le dessinateur de 42 ans sait se glisser avec discrétion dans l’intimité des grands de ce monde. Gérard Depardieu, il l’a rencontré un peu par hasard, à l’occasion d’un documentaire tourné en 2012, Retour au Caucase : les deux hommes étaient alors partis en Azerbaïdjan sur les traces d’Alexandre Dumas et du peintre Jean-Pierre Moynet. Dix jours d’un voyage peu banal qui les ont poussés à prolonger l’expérience pour une bande dessinée amusée autour de « Gégé », ce monstre du cinéma français.
L’humour décapant de l’album : Pendant cinq ans, Mathieu Sapin a suivi de près les pérégrinations de Depardieu, sur un tournage au Portugal, lors d’un séjour à Moscou, ou dans son élégant hôtel particulier parisien. L’occasion de multiplier les rencontres fortuites – Fanny Ardant, Jean-Michel Jarre, Emmanuelle Seignier, mais aussi un gangster tchétchène, un chauffeur azéri terrorisé ainsi qu’un bon paquet de touristes adeptes des selfies (« Ils veulent me voir, me palper, me prendre en photo comme un gros bouddha vivant », soupire Gégé). L’acteur, lui, ne tient jamais en place, a toujours peur de « s’emmerder », et provoque lui-même les situations les plus hilarantes – mention spéciale pour la scène de flagellation dans un bania russe, bien aidée par la vodka au raifort !
Le portrait attachant de Depardieu : Parfois fidèle à l’image qu’on a de lui – celle d’un ogre lubrique amateur de bonne chère et de grossièretés –, l’acteur dévoile d’autres pans de sa personnalité. Lecteur attentif de Vassili Grossman et de Philip Kerr, expert en art contemporain, businessman accompli malgré une relation compliquée à l’argent, Depardieu avale l’existence avec un appétit rarement pris en défaut. 140 kilos de barbaque lancés à travers le monde, mais dont la suractivité cache le mal-être d’un homme qui ne s’aime pas, gagné par l’ennui et la peur de la mort. Une superstar mondiale hypersensible, mi-pitre mi-philosophe, qui ne cherche rien tant que le calme et l’authenticité. Avant de conclure, d’une dernière saillie : « Le seul endroit où j’aime être, c’est ailleurs. » J.B. Gérard : Cinq Années dans les pattes de Depardieu par Mathieu Sapin, 160 p., Dargaud, 19,99 €