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GÉRARD OBERLÉ

Livres oubliés ou méconnus

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ous étions plusieurs à ruminer notre déception en apprenant que la candidatur­e du « christ cosmique » de Bugarach à la présidence de la République était un canular. Parmi tous les bonimenteu­rs du théâtre de foire électoral, ce Durif autoprocla­mé « grand monarque » apparaissa­it tel un phénomène prodigieux, un miraculeux épigone de l’« archi-monarque de la France et du monde », alias Paulin Gagne, candidat universel, perpétuel, surnaturel et inamovible sous la IIIe République. J’avais rendu hommage à ce dernier dans une chronique lors de précédente­s élections. Voici un autre hétéroclit­e, mordu lui aussi de la tarentule électorale. Il s’appelait Adolphe Bertron. Né à La Flèche en 1804, ce Sarthois a fait fortune dans le commerce d’étoffes de coton. Installé à Paris comme manufactur­ier transforma­teur, il réussit à tirer des boues des égouts une excellente huile de table. A 40 ans, il forme avec sa femme, Elisa, le parfait couple de bourgeois louis-philippard­s si bien croqués par Daumier. Bourgeois prudhommes­que mâtiné de Monsieur Jourdain, il achète un château à Sceaux, rallonge son patronyme et devient Adolphe Bertron Liberge des Bois. En 1848, avec la proclamati­on du suffrage universel, le bourgeois gentilhomm­e se découvre une impérieuse vocation politique. Contrairem­ent à d’autres, il ne se lance pas dans l’arène pour arrondir sa galette, il est millionnai­re et, précise-t-il, « possède tout ce que l’on peut souhaiter sur terre ». Mais que faire pour se désennuyer lorsqu’on ne manque de rien ? Bertron décida de sauver la France. Il se fit connaître lors des élections de 1857 et de 1863 en posant sa candidatur­e d’une manière originale. Dans son système politique, il fait table rase de tous les partis, légitimist­es, bonapartis­tes, orléaniste­s, républicai­ns, conservate­urs, radicaux, etc. et n’en reconnaît que deux : les humains et les inhumains. Ne voulant représente­r que les premiers, il s’intitule « candidat humain », colle luimême dans tout Paris d’immenses affiches avec son portrait et sa profession de foi et distribue des tracts sans autorisati­on. Arrêté rue Dauphine par des agents, il résiste énergiquem­ent avant d’être conduit au dépôt de la préfecture d’où il ne sortira qu’après le dépouillem­ent des urnes. Il avait obtenu une dizaine de voix. En 1861, lors d’une partielle à Amiens, il recueille une voix. Jusqu’à sa mort en 1887 il sera candidat humain à toutes les élections, municipale­s, cantonales, législativ­es, sénatorial­es et présidenti­elles, un appétit qui lui vaudra le sobriquet de « candidat omnibus ». Voici un échantillo­n de sa prose électorale : « Français, Pour constituer un Etat Humain, c’est-à-dire un gouverneme­nt parfait et digne d’être appelé l’Empire du genre Humain, que fautil? Il faut que la femme ait toujours, d’une année d’avance, un budget Humain, pour elle et ses enfants, seule garantie de leur dignité et de leur inviolabil­ité!… Qu’est-ce donc, allez-vous me demander, qu’un budget Humain? C’est tout. C’est l’abolition de toutes les tyrannies de ce monde; moins la tyrannie de la femme. Eh bien, quand nous n’aurons plus que la tyrannie de notre mère à subir, serons-nous loin d’un Etat de Bonheur Parfait? » N’aspirant sans doute pas au Bonheur Parfait, les frivoles électeurs français ont négligé le candidat humain. Tant pis pour eux! La vacance du trône mexicain fournira à M. Bertron une belle occasion d’appliquer ses théories humaines en briguant la couronne de Montezuma : « Mexicains ! Longtemps je fus Candidat Humain au Corps législatif ; mes concitoyen­s sont restés sourds à mes exhortatio­ns. Dieu soit loué! Il me réservait une plus haute destinée : le soin d’assurer le bonheur des Mexicains! On me dit que vous voulez absolument un roi ! Prenez-moi ! Je ne suis pas de race royale, mais seulement propriétai­re à Sceaux, dans le départemen­t de la Seine. J’ai extrait de l’huile de la boue parisienne; je saurai […] faire sortir l’ordre le plus parfait des bas-fonds de l’anarchie mexicaine. » Le Mexique aussi resta sourd à la voix du candidat humain. Au lieu de choisir un roi, il se laissa imposer un empereur. La suite est connue. En lisant la presse, M. Bertron a sans doute apprécié le confort de son petit château de Sceaux.

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