PHILIPPE ALEXANDRE
La politique en volume
Depuis plus de vingt ans, en France, les mandats présidentiels se terminent sans regret, sans nostalgie, sans larmes. Le bilan de la période qui s’achève est jugé globalement négatif. Tous les livres consacrés au quinquennat du président Hollande ont été des procès en règle, quelquefois des règlements de comptes et même des pamphlets meurtriers. L’excellent journaliste Christophe Barbier se livre à son tour à cet exercice en quelque sorte imposé, à un moment où, semble-t-il, tout a été dit sur ce sujet. Mais l’auteur de cet ouvrage sobrement intitulé Les Derniers Jours de la gauche se distingue de la plupart des hollandologues : il use d’une écriture raffinée, élégante, des plus efficaces. Chaque page comporte des formules chocs qui en disent plus long qu’un discours d’expert. Ainsi, Barbier annonce la couleur dès son entrée en matière : « L’élection présidentielle de 2017, c’est la nouvelle Révolution française, placidement implacable, qui fait tomber les têtes sans verser le sang. » Et il ajoute, au spectacle d’une campagne si généreuse en coups de théâtre : « C’est tous les jours tempête, en espérant que ce ne soit pas pour toujours naufrage. » Le livre ayant été remis à l’imprimeur en janvier, avant les péripéties dites du « Penelope gate », on reconnaîtra à l’auteur une clairvoyance, une perspicacité peu communes.
Son ouvrage repose sur un postulat qui provoquera des sanglots dans les chaumières de la gauche : le socialisme français est terminé, mort. « Il ne continuera pas après le quinquennat de François Hollande », affirme l’auteur. « Il ne s’agit ni d’une pause ni d’un mitan, mais d’un terminus. » La gauche, ou du moins cette gauche de la gauche qui a pourri, du premier jour au dernier, les années Hollande, sera ulcérée par ce jugement sans nuance de Christophe Barbier : « La fin de la gauche, c’est l’incapacité de Hollande à désigner Macron comme héritier, c’est le contraindre à la transgression en lui refusant la transmission. » Imaginez un peu la réaction des diverses chapelles socialistes si François Hollande avait déposé les saintes huiles sur le front de l’ancien banquier de Rothschild !
Comme ses trois prédécesseurs, François Hollande, emporté par l’éblouissement de sa victoire, a sacrifié le début de son mandat et l’occasion de lancer les réformes qui dormaient depuis trois ou quatre décennies dans les corbeilles de l’Elysée. En août 2012, trois mois après son intronisation, écrit l’impitoyable Barbier, « François Hollande a du sable entre les orteils quand Bachar el-Assad a du sang sur les mains ». L’année suivante, le chef de l’Etat dans une confidence se plaint déjà : « Je n’ai jamais eu de bol ! » Beaucoup jugeront au contraire qu’il a été paralysé par le « bol » au point de ne savoir qu’en faire.
Hollande n’est pas le seul ; aucun des dignitaires de cette gauche à l’agonie n’échappe à la plume au vitriol de l’auteur : d’Arnaud Montebourg, « grand ferrailleur de la gauche, […] il ferraille sur le pré et il la mène à la casse », à Emmanuel Macron qui, « comme le héros de Jules Verne, progresse en profondeur […] ; il nage 20000 lieues sous les mers, notamment sous la mer des sarcasmes ». En passant par Benoît Hamon qui, « comme Gaston Defferre lors de la présidentielle de 1969, a toutes les chances d’être celui qui éteint la lumière ».
Auteurs moins ambitieux que leur confrère, Patrice Duhamel et Jacques Santamaria publient une version actualisée de leur encyclopédie sur l’Elysée et sa conquête. Tout a changé cette fois avec la primaire, ses coups de théâtre, sa loi d’airain qui condamne sans pitié des candidats présumés providentiels : « La primaire! s’exclament les auteurs… A l’avenir, le locataire de l’Elysée devra, sauf évolution majeure des institutions comme l’instauration du septennat non renouvelable, intégrer dans son agenda cet événement, machine à diviser, mécanique infernale, machine à unir. » Vraiment? Plutôt le modèle dernier cri de la bonne vieille guillotine de notre histoire républicaine.
Avec Argent, morale, politique, nous voici dans une actualité plus que brûlante. L’auteur, le député de l’Aisne, socialiste affiché rocardien, René Dosière, se consacre depuis son entrée au Parlement il y a une trentaine d’années à une analyse pointilleuse du financement de notre vie politique. Il y a récolté quelques inimitiés. Comme il a décidé de ne pas se représenter cette année, on peut supposer qu’il ne va pas gâcher son mot de la fin. Effectivement, l’auteur, engagé dans la Jeunesse étudiante chrétienne (J.E.C.) dès la classe de sixième, a placé sa vie sous le signe de la morale. Dans son livre, riche en statistiques mais aussi en exemples concrets, René Dosière dénonce cette faille dans le financement de la vie politique : l’absence de contrôle. « Cela explique, écrit-il, les graves dérives qui sont apparues lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy [en 2012], avec le financement des activités de Bygmalion par Les Républicains, les procédures judiciaires concernant le microparti Jeanne de Marine Le Pen » et bien d’autres « affaires » qui n’ont pas été épinglées par la justice ou la presse et le sont dans ce livre.
L’auteur ne craint pas les ricanements en entonnant un hymne à la morale en politique : « Une politique morale n’exige pas la sainteté, qui est d’une autre nature, mais se satisfait de la volonté de servir, et non pas de se servir. » Et bravant l’air du temps, il confesse : « Au terme de ces quarante années d’engagement politique je peux l’affirmer […], la politique est l’activité la plus noble, la plus exigeante, la plus difficile et la plus honorable qui soit. » Vous avez bien lu : « Honorable. »