CLASSIQUES REVISITÉS
PRIMO LEVI BIEN AU-DELÀ DES MAUX…
Primo Levi, Budd Schulberg, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, J. G. Ballard, Edith Wharton, John Cowper Powys, Marcel Proust, Leo Perutz, Nuala O’Faolain, Louis Calaferte
Primo Levi s’est donné la mort en 1987. Au début de cette même année, il avait eu trois longues conversations avec Giovanni Tesio. Un échange inédit à ce jour que l’on découvre dans Moi qui vous
parle. Où le critique littéraire et professeur d’université consigne ses visites à l’écrivain et ses propos. Trois après-midi, deux en janvier et une en février, dans un appartement au troisième étage, situé dans une élégante avenue de Turin. Face à lui, il y a « un maître de la laïcité, de la raison, du doute et du questionnement, mais aussi de la clarté, de la résistance, de la détermination et de l’action », qu’il a rencontré pour la première fois en 1977. L’auteur du Système périodique et de La
Clé à molette se livre à lui. Revient sur sa famille juive bourgeoise. Un père ingénieur qui n’a pas vraiment été présent, mais l’abreuvait en livres. Une mère très réservée et femme d’intérieur. Primo Levi se souvient de sa position d’éternel second de la classe. De l’inhibition qui a empoisonné les années de sa jeunesse et l’empêche encore d’établir certains rapports humains. De ses mois de chimiste dans une usine. De son arrestation par les miliciens fascistes en décembre 1943 et de son emprisonnement dans une caserne d’Aoste. L’homme qui s’exprime ici se dit intrigué par le monde qui l’entoure, épris d’alpinisme, aimant disséquer tout ce qu’il lit en s’attachant à la texture de la phrase. Les siennes, on les retrouve dans les pages de
Dernier Noël de guerre. Treize textes écrits entre 1977 et 1987. Celui qui donne son titre au recueil montre Primo Levi prisonnier d’un camp près d’Auschwitz où il a accès aux nouvelles du monde libre. L’Armée rouge se rapproche alors qu’il observe et écoute la formation des « soldats-enfants » de la Jeunesse hitlérienne. Qu’il répare le vélo de Frau Mayer – laquelle le récompense d’un oeuf dur et de trois morceaux de sucre. Pour Noël, le dernier de guerre et de captivité, il reçoit un colis avec des vivres qu’il cache dans sa veste. Veste qu’il se fait voler pendant sa douche… Il est aussi question ici d’un kangourou se rendant à une réception chic où il n’est pas très à l’aise. D’un l’employé administratif de l’état civil chargé de préciser sur les fiches qu’il rédige la manière dont sont morts les êtres humains dont il traite le dossier. Ou encore d’une foule silencieuse qui démantèle un train.
Enfin, il faut lire ou relire Si c’est un homme, le premier livre de Primo Levi paru en 1947 chez Da Silva et repris dans une version augmentée chez Einaudi en 1958. Un chef-d’oeuvre qui reparaît en France dans la collection « Pavillons » de Robert Laffont avec une belle préface de Philippe Claudel. L’ex-matricule 174517 qui portait l’uniforme rayé s’exprime avec un ton calme. Son but est de « fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l’âme humaine ». Il relate son arrivée à Auschwitz. Comment il touche le fond et se retrouve nu et tondu avec les autres déportés. Transformé en fantôme, démoli. Comment il lui faut se plier à des rites « infinis et insensés ». Jamais Primo Levi ne hausse le ton ni ne juge, il préfère se contenter de décrire. Ce livre inouï, Claudio Magris a dit que nous l’aurons devant nous au jour du Jugement dernier…