LETTRES CONTEMPORAINES
Chimamanda Ngozi Adichie, Pierre Bergounioux, Alison Lurie, Garth Risk Hallberg, Thomas Vinau, Tomas Espedal, Isabelle Sorente, Andreï Kourkov, Nik Cohn, Aaron Gwyn, Didier Pourquery, Irvine Welsh, Sarah Vaughan
Elle a le port altier, le regard magnétique, l’aura d’une star. Elle n’a qu’une poignée de livres derrière elle, mais Chimamanda Ngozi Adichie fait déjà figure de grande dame des lettres mondiales. A 39 ans (elle aussi !), la romancière nigériane règne aujourd’hui sur un domaine bien plus vaste que celui de la seule littérature dite « afropolitaine ». La France lui a fait un triomphe, il y a deux ans, avec la publication d’Americanah, récit virtuose autour de l’immigration et du racisme, vendu à près de 130000 exemplaires. Et la voilà de retour, ce printemps, avec deux ouvrages qui témoignent autant de son engagement que de l’agilité de sa plume. Le premier, Chère Ijeawele, est une vraie curiosité : sous forme de lettre ouverte à l’une de ses amies, l’auteure y propose un bref manifeste pour une éducation féministe, qui fait la part belle – entre autres – à la lecture et à l’affirmation de soi, contre le sexisme et la prison des traditions. L’ensemble aurait gagné, peut-être, à être étoffé, mais ce petit manuel délivre quelques prescriptions utiles, à rebours de ce que l’auteure appelle le « féminisme light ».
Le second, lui, ne manque ni de souffle ni d’ambition. Réédité chez Folio, L’Autre Moitié
du soleil était paru en 2006, avant de rafler le prestigieux Orange Prize l’année suivante. Ce pavé de près de sept cents pages nous plonge cette fois dans un épisode sanglant, et parfois oublié, de l’histoire africaine : la guerre du Biafra. En 1967, cette région de l’est du Nigeria, peuplée majoritairement d’Igbos, avait opté pour la sécession, ouvrant la voie à une guerre civile de trois ans qui causa des centaines de milliers de morts et une terrible famine. Née à Enugu, éphémère capitale du Biafra, dix ans après les faits, Chimamanda Ngozi Adichie s’est inspirée de l’histoire familiale pour peindre le terrible portrait d’une nation écartelée, autour d’un quintet de personnages : Olanna et Odenigbo, un couple d’intellectuels igbos, partisans de la sécession avant de se trouver confrontés à la réalité de la guerre, Ugwu, leur serviteur, brave garçon bientôt envoyé au front, Kainene, la soeur jumelle d’Olanna, chef d’entreprise qui prendra la tête d’un camp de réfugiés, et Richard, son amant britannique, écrivain pris entre les feux croisés de l’art et de la politique. Chacun va voir son destin bouleversé par les événements, ses convictions ébranlées par le conflit. Et tous devront comprendre qu’il n’y a parfois pas pire difficulté que de rester loyal à soi-même.
Construit avec audace, multipliant les allers-retours entre les époques pour mieux créer un climat de danger et de mystère, L’Autre Moitié du soleil s’avère bien plus qu’un énième roman de guerre. Chimamanda Ngozi Adichie y dissèque également les relations maritales, la question de l’identité ou les conséquences dramatiques de la colonisation britannique – autant de sillons creusés par la suite dans son oeuvre. Paru alors qu’elle n’avait pas encore 30 ans, le livre lui avait valu à l’époque les louanges du grand Chinua Achebe. Une décennie plus tard, les promesses semées alors n’ont pas fini de livrer leurs fruits.