Des femmes EN RÉSISTANCE
Elles se battent, contre le sexisme qui dure, contre l’obscurantisme et la dictature. Portraits de quelquesunes de ces Antigones modernes.
« EN IRAN, LA VIE D’UNE FEMME VAUT LA MOITIÉ DE CELLE D’UN HOMME. NI UNE FEMME NI UN HOMME NE PEUVENT Y ÉCRIRE LIBREMENT, NI DANS AUCUN AUTRE PAYS AU MOYEN ORIENT »
D ans la droite ligne de Nadine Gordimer, d’Aung San Suu Kyi, de Taslima Nasreen, de Duong Thu Huong et autres Zoé Valdés, la littérature actuelle révèle de nouvelles combattantes de l’engagement par la plume. Des idéaux dignes d’Antigone et de sa maxime (prononcée dans la version de Sophocle) : « Je suis là pour vous dire non et pour mourir. »
EN TURQUIE
Plus que jamais, Asli Erdogan est là pour écrire le refus. Collaboratrice du journal prokurde Özgür Gündem, la romancière turque avait été arrêtée le 17 août 2016, en même temps que vingt autres membres de la rédaction. Le régime du président Recep Tayyip Erdogan (aucun lien de parenté) avait alors lancé une vague de répression contre ses opposants, suite au putsch avorté du 15 juillet. Libérée le 29 décembre, l’écrivaine demeure poursuivie pour propagande terroriste. Son crime? Avoir dénoncé les privations, viols et exactions subis par la minorité kurde. Née en 1967, engagée de longue date dans la défense des droits de l’homme et de la femme, traduite dans une dizaine de langues (en France chez Actes Sud), elle avait publié en 2009 un roman consacré… à la détention et à la torture des opposants politiques : Le Bâtiment de pierre. En 2014, elle fut à l’initiative d’une marche des écrivains à la frontière turco-syrienne, lors du siège de Kobané par l’Etat islamique.
EN SYRIE, EN IRAN
Réfugiée en France depuis 2011, la Syrienne Samar Yazbek est retournée (clandestinement) sur cette même frontière : elle y fut accueillie par une famille dont on suit le destin dans Les Portes du néant (Stock, 2016), récit terrible sur la guerre civile. Feux croisés : Journal de la révolution syrienne (BuchetChastel, 2012), le premier livre traduit en français de cette figure de l’opposition au régime d’El-Assad, avait été récompensé par plusieurs prix littéraires honorant la liberté d’expression. Avec l’argent récolté, Samar Yazbek a fondé une association qui s’occupe de femmes en Syrie et dispense des cours pour, selon ses termes d’alors, « leur apprendre à résister à l’esprit rétrograde des djihadistes ». Lorsqu’elle est arrivée en France, elle pensait n’y rester que quelques mois et rentrer à la maison une fois tombé le régime qu’elle combattait…
Installée dans l’Hexagone depuis 1993, Chahdortt Djavann avait passé son adolescence à Téhéran sous l’oppression du voile islamique. Figure de la diaspora iranienne, désormais loin du danger, elle saisit régulièrement l’occasion de se prononcer sur la condition féminine dans son pays d’origine (comme dans Les putes voilées n’iront jamais au paradis ! Grasset, 2016) : « En Iran, la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme », nous dit-elle. « Ni une femme ni un homme ne peuvent y écrire librement, ni dans aucun autre pays au Moyen Orient », répète-t-elle encore et toujours.
EN OCÉANIE
En Polynésie, c’est un « mur de silence » que Titaua Peu revendiquait casser avec un roman intitulé Mutismes. « Le manque de paroles dans les familles tahitiennes est responsable de frustrations et de conflits », avançait-elle alors. C’était en 2003. A 34 ans, elle devenait la plus jeune auteure tahitienne à être publiée. L’an passé, cette militante féministe et indépendantiste revenait avec Pina (Au vent des îles), histoire d’une tragédie familiale doublée du portrait d’une société ravagée par le déracinement culturel, rongée par la misère, la violence domestique, la frustration sexuelle, l’alcoolisme. Elle poursuit le travail féministe de la Tahitienne Chantal Spitz ou de Déwé Gorodé, écrivaine et ancienne vice-présidente du gouvernement néo-calédonien. Pour elle, « les femmes polynésiennes ont toujours été au centre de ces luttes, qui pour l’essentiel consistait à lutter contre les violences faites aux femmes » . Elle poursuit : « Etonnamment, le public polynésien trouve maintenant “normal” qu’elles soient dénoncées par une femme. »
La littérature est affaire de voix et de langue, qui de tout temps sont un combat. Hubert Artus