Lire

POURQUOI LES FEMMES lisent-elles davantage?

Président du Centre national du livre (CNL), Vincent Monadé vient de publier Comment faire lire les hommes de votre vie. Un court ouvrage léger, raffiné et drôle sur un sujet pourtant sérieux : la différence entre les hommes et les femmes dans leur rappor

-

Pourquoi avoir voulu écrire ce livre?

Vincent Monadé. Au CNL, nous réalisons régulièrem­ent des études sur les pratiques de lecture des Français. Ce qui apparaît, c’est que les décrocheur­s sont les adolescent­s et les hommes. Les années passent et les femmes sont toujours plus lectrices qu’eux, surtout de romans. Cela faisait un bout de temps que je pensais qu’il ne fallait plus seulement constater, mais agir. Avec ce livre, j’ai voulu dire que, quel que soit son âge, on peut redevenir lecteur.

Pourquoi les hommes lisent-ils moins de romans que les femmes?

Globalemen­t, le décrochage apparaît vers 13-14 ans et il est plutôt masculin. A cet âge, les garçons, sauf les très grands lecteurs, arrêtent de lire. Est-ce lié au phénomène de groupe ou à la découverte de la relation amoureuse ? Je ne sais pas. Il faudrait réaliser une véritable enquête sociologiq­ue pour le comprendre. En tout cas, passé l’adolescenc­e, les garçons ne se remettent pas à lire des romans, contrairem­ent aux filles. Bien évidemment, le rapport de ces dernières à la littératur­e continue d’évoluer tout au long de leur vie. Lorsqu’elles ont 45 ans, leurs enfants ont grandi, elles peuvent alors redevenir de grandes lectrices. En réalité, elles n’ont jamais cessé de l’être, mais elles avaient dû mettre entre parenthèse­s leur activité de lecture à cause de leur double journée de travail.

Mais les hommes lisent aussi tout de même?

Bien sûr, les hommes lisent, mais plutôt des livres scientifiq­ues, des livres d’histoire et beaucoup la presse. A la fin de l’adolescenc­e, ils reprennent une activité de lecture, mais font disparaîtr­e la notion de « lecture plaisir ». Au début de leur car- rière, ils abandonnen­t la fiction au profit d’une lecture « utilitaire ». Ils lisent pour leur travail ; cela apparaît très clairement dans nos études. La seule concession qu’ils font à la fiction est la bande dessinée, un genre qu’ils pratiquent plus que les femmes. A l’inverse, même lorsqu’elles rentrent dans la vie active, les femmes, elles, continuent de lire de la littératur­e. Pourquoi ? Parce que, contrairem­ent aux hommes qui lisent avant tout pour approfondi­r leurs connaissan­ces, les femmes le font surtout pour s’évader.

Le paradoxe, c’est qu’on a longtemps voulu empêcher les femmes de lire de la littératur­e.

Oui, tout à fait. Une des thèses du roman de Flaubert, c’est qu’Emma Bovary est devenue ce qu’elle est parce qu’on lui a laissé lire des romans. Très longtemps, la lecture a été vue comme une activité dangereuse pour les femmes justement parce qu’elle leur permettait de s’évader de leur simple vie de mère et d’épouse. La grande force de la littératur­e, c’est sa puissance émancipatr­ice. Il est vraiment dommage que les hommes s’en privent.

Dans votre livre, vous expliquez que les femmes doivent défendre leurs hommes dans les soirées mondaines, où ils sont moqués car non lecteurs…

Oui. Une terrible culpabilis­ation est infligée aux personnes qui ne lisent pas, toute la société les pointe du doigt. Or, à mon sens, on peut tout à fait réussir sa vie en ne lisant pas. Je pense simplement qu’on est plus heureux quand on est lecteur, qu’on a plus d’amis lorsqu’on est entouré de livres. Quoi qu’il en soit, pour les hommes qui ne lisent pas, se remettre à la lecture suppose de surmonter toute cette culpabilit­é. Surtout qu’il existe une vision germanopra­tine qui consiste à dire ce qu’il faut lire ou ne pas lire. Rappelezvo­us, lorsque Gilles Legardinie­r est passé dans l’émission de Laurent Ruquier, il a été violemment attaqué par Yann Moix pour la simple et bonne raison qu’il proposait une littératur­e extrêmemen­t populaire. De leur côté, les femmes ont elles aussi été longtemps culpabilis­ées pour lire de la littératur­e de romance. D’ailleurs, si la romance s’est tellement bien vendue en version numérique, c’est sans doute aussi parce que les lectrices n’avaient plus à supporter le regard moqueur de l’autre dans le métro devant leurs couverture­s Arlequin. Ce mépris est d’autant plus idiot que ce genre littéraire a produit des chefs-d’oeuvre. A bien y regarder, Anna Karénine, c’est de la romance, comme Autant en emporte le vent et peutêtre même, dans une certaine mesure, Madame Bovary.

Votre livre est l’occasion de rendre un bel hommage à votre mère…

Oui. Ce sont les femmes qui transmette­nt la littératur­e. Ne serait-ce que dans la lecture de l’histoire du soir. Dans nos enquêtes, on voit que les femmes lisent beaucoup de littératur­e jeunesse. Ce n’est pas qu’à 40 ans elles se prennent de passion pour les romans pour enfants. C’est simplement qu’elles en lisent pour transmettr­e le goût de la littératur­e à leur progénitur­e.

Propos recueillis par Lou-Eve Popper

 ??  ??
 ??  ?? HHHComment faire lire les hommes de votre vie par Vincent Monadé, 128 p., Payot, 10 €
HHHComment faire lire les hommes de votre vie par Vincent Monadé, 128 p., Payot, 10 €

Newspapers in French

Newspapers from France