Silence, ça crie!
Attention : chef-d’oeuvre! Oui, c’est ce que tout le monde est tenté de se dire en découvrant ce grand format, tout de noir et blanc vêtu, avec sa couverture saisissante. Et le plus fort est qu’après l’avoir refermé l’impression est confirmée. L’histoire est solide, assurément, celle, il y a une centaine d’années, d’un jeune Corse un peu solitaire, Césario, hanté par des rêves qui font de lui un voyant, « berger des morts, chasseur d’âmes », suivant les mots de sa grand-mère. Et, comme il se doit, à tout Césario il faudra une Chilina, une fille plus farouche que lui encore – et pas sans raison –, dont à son tour l’image, la présence absente, va l’obséder.
Mais cela n’est rien. De tout ça on pourrait n’extraire qu’une nouvelle à la Mérimée, dessinée à la violente, dialoguée à l’efficace. Jules Stromboni, en solo pour la première fois, tourne le dos à ces facilités. Il choisit la gravure en monotype et il met le comble à sa radicalité en se refusant à faire entendre le moindre dialogue. Assurément, dans un tel milieu, le mutisme est la forme d’expression privilégiée des personnages, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Car une parole se fait entendre ici, mais d’une manière inattendue, l’auteur entrelaçant ses grandes pages sombres et muettes au moyen de textes qui prennent la forme de poèmes en prose, de monologues intérieurs, de complaintes chantées à la manière des polyphonies surgies des terres austères de la Méditerranée – Sardaigne, Corse, Albanie… Le comble est atteint quand, à la tête de chaque chapitre, explose la couleur d’un herbier magique, où l’aconit avoisine l’ail des ours : une couleur fraîche et précise, une sorte de baume sur les plaies avivées des vignettes, grattées comme à la paille de fer. Vous avez dit chef-d’oeuvre ?
P.O.