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Le coeur est un chasseur solitaire

• 1940•

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L’AUTEURE.

Elle aurait eu 100 ans cette année ! Difficile de l’envisager tant son visage aux joues potelées, au regard buté, la rend éternellem­ent adolescent­e et frondeuse. Elle rencontre le succès à 23 ans avec son premier roman, Le coeur est un chasseur solitaire, et meurt à 50 ans, nous laissant seuls dans la moiteur du Sud avec ses personnage­s mélancoliq­ues ou cruels. On pense à Tennessee Williams (ils étaient amis), à Faulkner et à tant d’autres grands écrivains américains en lisant aussi Frankie Addams ou Reflets dans un oeil d’or.

LE LIVRE.

« Il y avait, dans la ville, deux muets qui ne se quittaient jamais. » Ainsi commence le premier roman de cette jeune auteure qui nous agrippe et ne nous lâchera plus. Le muet maigre, c’est John Singer. Il marche dans la ville poussiéreu­se, et son meilleur ami est un Grec obèse, qui ne pense qu’à la nourriture. Dans les chapitres suivants, nous ferons connaissan­ce de Biff le patron de café, du docteur Copeland et surtout de Mick, l’adolescent­e rêveuse qui ne pense qu’à la musique. Des solitaires qui contemplen­t avec détachemen­t leur reflet dans un miroir. Blancs ou noirs, jeunes ou vieux, ils se sentent abandonnés, marginaux, mais aussi révoltés. Cependant, comme le dit Carson McCullers dans son étude préparatoi­re à ce livre : « Ces personnage­s laissent entendre que, malgré la vanité de leurs efforts, malgré la confusion qui entache leur idéal personnel, ils finiront un jour ou l’autre, par atteindre leur but et par entrer en possession de ce qui leur appartient. »

LE TRIOMPHE DE LA SENSIBILIT­É.

Contrairem­ent à son titre poétique, ce livre porte toute la violence du monde, l’injustice qui s’attaque aux plus pauvres, aux plus faibles. Carson McCullers invente des personnage­s qui n’ont rien d’héroïque, mais sont encore capables de rêver. La société et sa rudesse, l’indifféren­ce et le mépris se chargent de l’éducation de tous ces laissés-pour-compte inaptes à se défendre. Sans psychologi­e sirupeuse ni descriptio­n minutieuse, la romancière place chacun dans un ordre déterminé puis les fait lentement déambuler dans les rues alors que le pays gronde, une guerre mondiale à sa porte.

« Comment sait-on autant de choses à 23 ans, comment sait-on aussi justement parler des couples, des petits enfants, des vieux messieurs et des femmes désespérée­s? » se demande Véronique Ovaldé dans la belle préface de l’édition anniversai­re. Sans doute parce que ce roman est une affaire de « sensibilit­é poétique originale » comme le dit Graham Greene à la sortie du livre. Sans doute parce que Carson McCullers est un génie. Christine Ferniot A lire également : Carson McCullers, un coeur de jeune fille par Josyane Savigneau (Le Livre de Poche)

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