INVISIBLES femmes de lettres
En littérature comme dans tant d’autres domaines artistiques, les femmes ont longtemps été méprisées.
Aux hommes la création, aux femmes la procréation. Voilà comment le monde s’est longtemps structuré. Les représentantes du sexe féminin, renvoyées à leurs rôles de mère et d’épouse, ne devaient pas avoir de génie ni s’intéresser au monde des idées. Si par malheur ces dernières montraient de l’intérêt pour les lettres, alors un déferlement de critiques ne manquait jamais de s’abattre sur elles. Les insultes même se mettaient à pleuvoir lorsqu’il leur prenait l’envie d’évoquer le corps et la jouissance. Chantant dans ses vers l’amour et le plaisir physique, la poétesse Louise Labé fut ainsi conspuée au XVIe siècle par l’austère réformateur Calvin, lequel n’hésitait pas à la traiter de « courtisane de bas étage ».
Au cours des siècles suivants, de grandes aristocrates présidèrent des salons littéraires fort réputés. C’en était trop pour certains hommes, lesquels tentèrent alors de ridiculiser ces lettrées qui avaient eu la prétention de penser et même d’écrire. Molière n’a ainsi pas hésité à moquer ces Femme savantes : « Nos pères étaient sur ce point gens bien sensés, / Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de son esprit se hausse / A connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse. » Faut-il que ces messieurs aient bien craint le talent des femmes pour les affubler alors du vocable avilissant de « basbleus ». Flaubert en donne une définition dans son Dictionnaire des idées reçues : « Bas-bleu : terme de mépris pour désigner toute femme qui s’intéresse aux choses intellectuelles. »
LA MISOGYNIE LITTÉRAIRE
Mais d’où vient le mot? On raconte qu’un certain Benjamin Stillingfleet se présenta un jour au salon littéraire de la Britannique Elizabeth Montagu (1718-1800) avec des bas bleus. En dépit de cette faute vestimentaire, il fut néanmoins reçu, l’hôtesse ayant déclaré que son salon accueillait non pas les élégants mais les gens d’esprit. Il faut croire, d’ailleurs, que l’intellect des femmes est associé à cette couleur, car c’est bien dans la célèbre « chambre bleue » de l’hôtel de Rambouillet que se réunissait, au XVIIe siècle, tout ce que Paris comptait de beaux esprits, dont Mme de Scudéry et Mme de La Fayette. Si les deux femmes se sont laissé tenter par l’aventure littéraire, elles furent néanmoins contraintes de publier anonymement leurs oeuvres afin de respecter la bienséance.
Les années passant, la misogynie littéraire s’estelle atténuée? Pas vraiment. Au XIXe siècle, George Sand fut violemment attaquée par ses pairs, parmi lesquels Charles Baudelaire : « Je ne puis penser à cette stupide créature sans un certain frémissement d’horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m’empêcher de lui jeter un bénitier à la tête. » Plus tard, Marguerite Duras, lucide, écrira : « Les hommes ne le supportent pas : une femme qui écrit. » Aujourd’hui, les romans publiés par des femmes envahissent les librairies et leurs auteures raflent désormais les prix littéraires. Mais des traces de sexisme persistent encore. Pour preuve, il faudra attendre 2018 pour qu’une oeuvre signée d’une femme, Mme de La Fayette, figure enfin au programme du bac littéraire. Lou-Eve Popper