ANNA GAVALDA L’anti-« chick-lit »
C’est parmi les vraies gens que l’auteure puise inlassablement son inspiration, et elle le montre, une fois encore, dans son recueil de nouvelles
L ’histoire est connue. En 1999, en pleine rentrée littéraire, une jeune inconnue entre au catalogue du Dilettante avec un recueil de nouvelles. Le titre, déjà, est intrigant : Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. La couverture, signée Anne-Marie Adda, peint un chien appelé à devenir célèbre. A l’intérieur du volume, on entend des voix, on croise des êtres, des parcours qui sonnent justes. Une styliste gouailleuse est née. Une écrivaine capable de se glisser avec une même réussite dans la peau de personnages féminins ou masculins.
Le manuscrit est arrivé par la poste chez le libraire-éditeur. Le grand manitou des lieux, Dominique Gaultier, a opté pour un premier tirage à 1 999 exemplaires. Très vite, la machine s’emballe. Les articles de presse enthousiastes s’enchaînent, le bouche-à-oreille fonctionne, Le Dilettante réimprime à tour de bras. Fait rare, le volume continue sa route de longs mois après sa sortie, raflant même le prix RTL/ Lire en mars suivant. Ce qui n’a pas tourné la tête d’Anna Gavalda. Qui a vaillamment continué sa route et a grimpé encore plus de marches. Avec Je l’aimais (2002), Ensemble, c’est tout (2004), La Consolante (2008) et L’Echap pée belle (2009). Autant de best-sellers en grand format puis en poche chez J’ai Lu. Au point que son livre suivant, Billie (2013) a bénéficié d’un premier tirage de… 350 000 exemplaires ! Les chiffres de vente d’Anna Gavalda, laissons-les de côté. Mieux vaut s’intéresser à sa singularité, à sa popularité jamais démentie. SEPT NOUVELLES DE LA VIE
Cette discrète qui s’exprime peu dans les médias a bâti une oeuvre incroyablement vivante et incarnée. Avec un talent fou pour doser les joies et les peines. Pour faire poindre la larme à l’oeil de ses lecteurs et les requinquer en même temps. Raconter la vie qui bouscule, les dérapages et les rattrapages. Les hauts et les bas. Nos failles, nos fêlures. Comment on s’arrange pour tenir. Ses phrases, ses dialogues, elle les peaufine au possible. Sans que l’on ne sente jamais le travail, l’effort. Juste qu’on applaudisse le swing.
L’auteure de La Vie en mieux (2014) revient avec Fendre l’armure. Sans doute son meilleur cru. « Je pourrais dire que c’est un recueil de nouvelles, que ce sont des histoires, qu’il y en a sept en tout et qu’elles commencent toutes à la première personne du singulier, mais je ne le vois pas ainsi. Pour moi, ce ne sont pas des histoires et encore moins des personnages, ce sont des gens. De vrais gens. Pardon, de vraies gens » , écrit Anna Gavalda dans le prière d’insérer. La première à prendre la parole dans « L’Amour courtois » s’appelle Ludmila. « Lulu » a 23 ans, le verbe haut. La demoiselle pleure en regardant Mulan. Elle adore la voix de la chanteuse Adele et travaille dans un Animaland en banlieue. A une soirée parisienne, la voilà qui rencontre un drôle de type : un poète qui s’intéresse à elle. Et pas seulement à ses formes…
Arrive ensuite « La Maquisarde ». Un des sommets de la livraison de saison. La narratrice a deux enfants, encore petits, dont le père est mort dans un accident de voiture. La jeune veuve est dans le provisoire. Elle essaye de tout recommencer dans un appartement qu’elle sous-loue. En reconnaissant qu’elle lève un peu trop le coude pour oublier. Dans un café où elle a ses habitudes, elle a repéré une autre éclopée avec qui échanger…
Soyez prévenus qu’un mouchoir en papier aide à se remettre de « Mon chien va mourir ». Tant la solitude du routier Jeannot Monati ne peut laisser de marbre. « Happy Meal » et sa chute incroyable permettent de reprendre ses esprits. Avant d’attaquer « Mes points de vie ». D’accompagner Pierre, l’expert qui détermine les responsabilités des uns et des autres. Ce qu’il va devoir aussi faire quand il est convoqué d’urgence à l’école de son fils de 6 ans…
« Le Fantassin » est l’autre chefd’oeuvre de Fendre l’armure. A coup de classiques hollywoodiens, de soupes et de vins fins, un avocat solitaire y sauve et y requinque un homme d’affaires que sa deuxième épouse a quitté. Du très grand art. On termine en beauté avec « Un garçon ». Lequel a 33 ans et une gueule de bois carabinée. Mal assis dans le train qui le ramène du mariage d’une ex- petite amie, il a encore l’esprit vif… Si c’était simple, la vie, on le saurait, nous dit Anna Gavalda. Elle l’illustre une fois encore avec une telle grâce qu’on s’agenouille devant elle. En lui demandant instamment de ne jamais arrêter de nous donner régulièrement des nouvelles. Alexandre Fillon