PIERRE BERGOUNIOUX LES TERRITOIRES DU RÊVE
Deux très anciens romans de Pierre Bergounioux, publiés dans les années 1980, reparaissent simultanément en poche. Deux romans qui, bien plus que le deuil amoureux pour l’un ( Catherine) et la quête de l’enfance perdue pour l’autre ( La Bête faramineuse), explorent la part cachée d’une nature jamais docile, nécessaire intercesseur entre l’homme et sa vaine tentative de compréhension de ce qu’il est. Cet écrivain habité, à la riche langue minérale et végétale, n’a de cesse de décrire ce qui se dérobe à nos yeux, ce que nous nommons par commodité l’« invisible », mais qui, pour peu que nous sachions voir, révèle ses beautés « faramineuses » et nous aide à grandir. Bergounioux est le scrutateur absolu d’une nature ouverte à tous les champs du merveilleux. Ce que son oeil voit, et ce que son prolongement, son stylo, retranscrit, est une exploration nouvelle des territoires du rêve. Là où tant d’écrivains, génération après génération, usent de la même encre pour décrire l’infiniment grand ou l’infiniment petit, le Corrézien fait montre d’autre chose, d’absolument nouveau. Cela tient à son style où s’entremêle d’une façon magnifique et comme évidente, bien que cela ne le soit naturellement jamais, des images neuves et des associations de mots qui suscitent une admiration empreinte d’une grande stupeur. Bergounioux est l’homme qui provoque l’émerveillement à la description d’un élytre ou de l’imperceptible mouvement des feuilles dans un sous-bois aux vertus oniriques. Il y a ce passage dans La Bête faramineuse qui résume tout, ou presque, de son lent et patient projet littéraire : « Rien ne change, rien ne compte : il n’y a que le granit et le ciel et la neige, l’hiver. Même quand on sera redescendus, dans les chambres ou dans la rue, à Paris, on saura. Il existe un endroit où l’on comprend tout et c’est ici. » S’immerger dans Bergounioux, c’est tomber dans le sombre inconnu pour se révéler dans une clarté qui ne cesse de grandir en nous, autour de nous.