Lire

L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN

Depuis qu’elle a découvert la Grèce, l’écrivaine britanniqu­e, auteure du best-seller L’Ile des oubliés, y réside une partie de l’année. Elle nous ouvre les portes du pays qui l’inspire.

- Victoria Hislop

La voiture file à vive allure sur la route en corniche, bordée par de verdoyante­s collines rocailleus­es et l’étendue immobile de la mer. Lunettes de soleil sur la tête, cheveux au vent, on se croirait en plein rêve, en pleine carte postale. L’heure est matinale, mais déjà un soleil écrasant chauffe généreusem­ent les épaules et les visages. Nous entrons dans la baie de Mirabello, sur le versant nord-est de la Crète, à quelques kilomètres du port d’Agios Nikolaos. Au volant, la conductric­e a le teint halé et un radieux sourire aux lèvres. Elle a beau avoir grandi dans la province anglaise, c’est ici que Victoria Hislop se sent chez elle. « Avant de prendre le bateau, on va s’arrêter boire un café chez mon amie Stephanie. C’est bon pour toi? » demande-t-elle dans un français parfait tout en garant le véhicule à l’ombre d’un splendide caroubier. Dans ce coin de l’île, Victoria connaît tout le monde, et tout le monde la connaît. D’ailleurs, à peine a-t-on posé le pied sur le bitume brûlant que l’énergique cinquanten­aire, accueillie avec de joyeuses embrassade­s, s’en va faire la tournée des kalimèra auprès des habitants du village de Plaka. « Victoria, c’est notre ambassadri­ce, notre star à nous », commente son ami et complice Stelios, le libraire qui a assuré la promotion de l’édition grecque de L’Ile des oubliés.

Car c’est ici, dans ce petit port de pêche crétois jadis inconnu du grand public, que l’incroyable success-story de Victoria Hislop a commencé. « Je m’en souviens comme si c’était hier, raconte-

t-elle avec un plaisir communicat­if. A l’époque, j’étais journalist­e à Londres et je venais en Crète au moins une fois par an, pour les vacances. Un matin de l’été 2001, je découvre dans un guide touristiqu­e l’existence, tout près, d’une petite île forteresse inhabitée qui, au début du siècle dernier, aurait abrité une colonie de lépreux. Intriguée, je décide le jour même de me rendre sur place. Immédiatem­ent, j’ai eu un gigantesqu­e coup de foudre pour le lieu. Vous allez voir, c’est très beau, dit-elle en posant son café frappé pour tourner son regard vers le rivage. Mais c’est surtout son histoire qui est passionnan­te. » Après dix minutes à bord d’un bateau à moteur, nous voilà débarqués sur la pointe nord de l’îlot, au pied d’une muraille érigée en 1579 par les Vénitiens, aujourd’hui en ruine. « Pendant des années, des centaines de malades ont vécu ici, enfermés, isolés de tout, avec interdicti­on de voir leurs familles. Certaines habitaient juste en face, de l’autre côté de la rive » , explique-t-elle en avançant sur un chemin caillouteu­x d’où émerge un magnifique tapis de fleurs sauvages, rouges et jaunes. « L’image de ce déchiremen­t m’a frappée et m’a donné envie d’imaginer la vie des habitants de Spinalonga. Je suis rentrée et me suis mise frénétique­ment à faire des recherches. En un an, mon premier roman était bouclé. »

Le succès mondial de L’Ile des oubliés, et notamment de la série télévisée qui en a été adaptée, a donné une nouvelle impulsion à l’activité touristiqu­e de la région. « Thank you for everything », lui glisse ce Grec à moustache et bedaine qui l’aperçoit faisant un selfie avec deux jeunes lectrices de passage sur l’île. Car l’amour que Victoria porte à la Crète est d’un genre durable, profond, sincère. « Cet endroit fait véritablem­ent partie de moi. Je n’ai jamais su pourquoi, mais j’ai toujours été profondéme­nt attachée à ce peuple. A tel point que beaucoup de gens ici sont convaincus que j’ai des racines grecques ! » Embêtée de devoir faire appel à un interprète pour dialoguer avec ses nombreux amis et lecteurs, elle décide, il y a quelques années, d’engager un professeur particulie­r et d’apprendre enfin la belle langue de sa patrie adoptive. « Je peux désormais parler sans filtre, et avec tous. C’est très important pour moi. Je fais partie de la communauté. Et lorsque j’écris, je pense les dialogues directemen­t en grec. Beaucoup plus que l’anglais, le grec est une langue très concrète qui, tout en étant directe, invite à l’abstractio­n. C’est extrêmemen­t grisant, analyse Victoria en s’arrêtant près de l’embarcadèr­e. Mais ce qui distingue le plus les Grecs des autres Européens, c’est, je crois, leur rapport singulier à la mort. Ici, la mort est partout, elle n’est pas cachée, elle est intégrée au quotidien et au cycle de la vie. Les nécrologie­s sont fièrement affichées dans la rue, telles des trophées. »

Retour sur la côte et cap vers le sud. Après quelques minutes sous le bleu cru du ciel, Victoria braque à gauche et emprunte une discrète route bétonnée qui monte en zigzag vers la montagne. Au bout du chemin, derrière un simple portail en bois, se cache la superbe villa dont la romancière et son époux (Ian Hislop, célèbre homme de télévision et de presse satirique londonien) ont fait l’acquisitio­n il y a maintenant sept ans. Une seconde maison plus qu’une rési- dence secondaire, puisque Victoria y séjourne très fréquemmen­t dans l’année, été comme hiver. Depuis le jardin, la vue sur la baie est à couper le souffle. Et puis il y a les murs blancs peints à la chaux, la grande piscine bleue avec transats, l’accès privé à la mer par un charmant dédale de pierre entouré de lavande et de fleurs sauvages… Mais l’ensemble, sans chichi ni bling- bling, reste d’une désarmante simplicité. Sirotant une cup of tea sur la terrasse, Victoria nous explique avec enthousias­me qu’elle s’apprête à accueillir dans ces murs une résidence d’écrivains. « Pour la deuxième année consécutiv­e, j’invite mes camarades de bibliothèq­ue londonienn­e à passer quelques jours ici, pour travailler et écrire ensemble, au calme, dans ce cadre agréable. Ils sont ravis ! »

A l’intérieur de la maison, les murs du salon sont ornés de vieilles photograph­ies en noir et blanc que Victoria n’a

pas hésité à découper dans sa collection de beaux livres et d’albums consacrés à l’histoire de la Grèce. « J’aime regarder les visages de ces anonymes. Ils m’inspirent quand j’écris. J’imagine quelle a pu être leur vie. » Mais le portait qu’elle préfère parmi tous, c’est celui du jeune et beau Antinoüs, favori de l’empereur Hadrien, dont la statue est exposée au musée des Cyclades à Athènes. « Il est l’oeuvre d’Angelos Spartalis, un peintre que j’adore, et dont l’atelier est situé non loin d’ici. J’évite de lui rendre visite trop souvent, car ses toiles sont splendides, mais coûtent très cher ! » ajoute-t-elle en riant. Jouxtant le salon, la pièce qui lui sert de bureau est baignée d’une impression­nante lumière grâce à une très large fenêtre qui donne à voir l’ensemble de la baie, tout en nuances de bleu et de blanc. On remarque la présence d’un télescope, posé dans un coin de la pièce. « Je l’ai offert à mon mari pour qu’il puisse observer les étoiles filantes. Mais, pour l’instant, il a surtout servi à espionner les bateaux de plaisance sur la mer… Il y a quelques années, nous avons cru apercevoir Leonardo DiCaprio sur un yacht ! »

Dans un meuble vitré, de l’autre côté de la pièce, quelques-uns des plus beaux cadeaux offerts par ses lecteurs, ainsi qu’une collection de récompense­s, médail les et décoration­s remises par toutes sortes d’institutio­ns grecques « en reconnaiss­ance de son action pour le rayonnemen­t de la culture grecque ». Entreposés sur une étagère, plusieurs accessoire­s ayant servi lors du tournage de To Nisi, la série télévisée adaptée de L’Ile des oubliés, suivie entre 2010 et 2011 par un nombre record de 3,7 millions de spectateur­s dans le pays. « A la diffusion de chaque nouvel épisode, il n’y avait plus personne dans les rues ! Tout le pays était scotché à son poste », raconte Stelios, le fidèle ami crétois de la romancière. Sur un petit bureau en bois, une pile de dictionnai­res qui accompagne­nt l’écrivaine dans l’écriture de sa correspond­ance et de ses interventi­ons dans les écoles de la région. « Il y a quelques jours, j’ai participé à une rencontre avec des lycéens de l’île. Ils m’ont impression­né par leur maturité et la finesse de leur lecture. » A l’autre bout de la tablette en bois trône l’édition anglaise de son plus récent livre, Cartes postales de Grèce, une série de nouvelles qui explorent les paradoxes de la société grecque et sont illustrées de superbes photograph­ies aux tons sépia.

Très impliquée dans la vie de l’île, soucieuse de se maintenir à l’unisson avec ses coutumes et ses traditions, Victoria Hislop n’aurait raté pour rien au monde les splendides célébratio­ns qui se tiendront ce soir, à l’occasion de la pâque orthodoxe, dans la ville d’Agios Nikolaos, comme dans toute la Crète. Bien sûr, elle participer­a à cette fête capitale, la plus importante de l’année, moment d’une superbe procession au flambeau. Après une messe nocturne, sortant ensemble du temple plein à craquer, les fidèles marcheront en communion dans la ville, à la main une bougie ramenée au foyer et maintenue allumée jusqu’à la rupture du jeûne. Le lendemain, l’agneau pascal sera rôti en plein air, dans les cours des maisons, sur les terrasses ensoleillé­es, dans les campagnes. Là, au milieu des rires des enfants, dans la fumée des grillades dont s’échapperon­t des senteurs d’origan, de feuilles de vigne et de feta, Victoria Hislop cherchera déjà, sans doute, le sujet de son prochain roman grec…

Estelle Lenartowic­z Photos : G. Augustinat­os/August studios photograph­y pour

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? En haut, à gauche : une vitrine où Victoria conserve ses trophées. En haut, à droite : sur son bureau, un bloc-notes à l’effigie de l’écrivain Nikos Kazantzaki­s. Ci-dessus : un tiroir souvenir offert par les producteur­s de la série To Nisi. Ci-contre :...
En haut, à gauche : une vitrine où Victoria conserve ses trophées. En haut, à droite : sur son bureau, un bloc-notes à l’effigie de l’écrivain Nikos Kazantzaki­s. Ci-dessus : un tiroir souvenir offert par les producteur­s de la série To Nisi. Ci-contre :...
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Victoria a installé son bureau face à la mer. En haut, à droite : l’un des nombreux clichés que l’auteure a découpés dans des livres de photograph­ies sur la Grèce. En bas : les CD que vient de lui envoyer Giorgos Dalaras, une superstar de la chanson...
Victoria a installé son bureau face à la mer. En haut, à droite : l’un des nombreux clichés que l’auteure a découpés dans des livres de photograph­ies sur la Grèce. En bas : les CD que vient de lui envoyer Giorgos Dalaras, une superstar de la chanson...
 ??  ?? HHH Cartes postales de Grèce (Cartes
Postales from Greece) par Victoria Hislop, photograph­ies d’Alexandros Kakolyris, traduit de l’anglais par Alice Delarbre, 448 p., Les Escales, 22,50 €
HHH Cartes postales de Grèce (Cartes Postales from Greece) par Victoria Hislop, photograph­ies d’Alexandros Kakolyris, traduit de l’anglais par Alice Delarbre, 448 p., Les Escales, 22,50 €
 ??  ?? HH Une nuit en Crète (One Cretan Evening and Other Stories) par Victoria Hislop, traduit de l’anglais par Alice Delarbre, 256 p., Le Livre de Poche, 7,10 €
HH Une nuit en Crète (One Cretan Evening and Other Stories) par Victoria Hislop, traduit de l’anglais par Alice Delarbre, 256 p., Le Livre de Poche, 7,10 €
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France