LES ÉCRIVAINS DU BAC
Célèbre dans l’Europe entière, à la fois produit des Lumières libérales et initiatrice du romantisme, favorable à la Révolution de 1789 et hostile à ses dérives, adversaire fascinée de Napoléon, Mme de Staël fut un grand écrivain d’une époque formidable e
emme étonnante, brillante, femme de lettres dans tous les sens du terme – en témoigne sa volumineuse correspondance – Mme de Staël fut aussi, à une époque décisive de l’histoire, une femme d’influence, sinon de pouvoir. Passionnée, généreuse avec ses amis, soucieuse aussi, en bonne calviniste, de la défense de ses intérêts matériels, ouverte sur le (beau) monde, consciente de l’importance de la vie des idées sur les affaires publiques, elle avait la tête politique et philosophique, disciplines qu’elle ne séparait d’ailleurs pas de la littérature ou de l’histoire : « J’appelle philosophie l’investigation du principe de toutes les institutions politiques et religieuses, l’analyse des caractères et des événements historiques, enfin l’étude du coeur humain et des droits naturels de l’homme1. » Elle esquissa dans ses essais théoriques et dans ses fictions le cadre intellectuel de l’Europe moderne articulant visée de l’universel et spécificités nationales. Longtemps on a sous-estimé la valeur de ses réflexions politiques où elle défend, dans l’esprit de Montesquieu et au fil des événements, les principes d’Etat de droit, du gouvernement limité et de la république représentative. Décriée par ses adversaires, ultras ou jacobins, par ceux qui, comme Stendhal – il est vrai très napoléonophile –, jugèrent son style empesé, ou qui lui reprochaient l’omniprésence de l’idée de vertu, à leurs yeux surannée, elle demeure un exemple sans précédent d’une femme engagée s’essayant à presque tous les genres littéraires, du théâtre en vers à la critique littéraire en passant par la fiction romanesque et l’essai théorique.
La fille de Jacques
Anne Louise Germaine vit le jour le 22 avril 1766 dans un hôtel particulier du Marais. Elle était la fille unique du couple formé par Jacques Necker, banquier genevois, et Suzanne Curchod, fille désargentée d’un pasteur vaudois, blonde, belle et cultivée, maîtrisant le latin – « des tourterelles qui ne se quittent jamais2 ». Jacques Necker avait entamé une carrière brillante qui le conduisit, grâce à quelques bonnes affaires, à faire d’une petite maison de commerce suisse une grande banque, devenant directeur de la puissante compagnie des Indes, puis, en 1768, ministre de la République de Genève près la cour de France. Bien que n’étant ni français ni catholique, Jacques Necker fut nommé directeur général du Trésor royal, puis en 1777, directeur général des finances de Louis XVI, défendant après le libéral Turgot un libéralisme tempéré par l’intervention de l’Etat. Il occupa ces fonctions jusqu’à son premier renvoi en 1781, « sous la pression des courtisans exaspérés par les économies et de son excès de susceptibilité devant les calomnies3 ». Suzanne, quant à elle, tenait dans l’hôtel familial un salon important que fréquentèrent les meilleurs esprits du temps Grimm, Marmontel, d’Alembert, Diderot ou Buffon. Les habitués favorisaient l’ascension de Jacques Necker, homme du « parti philosophique ». La petite « Minette » – ainsi qu’on l’appelait alors –, admise au salon dès l’âge de 5 ans, put depuis un tabouret placé auprès de sa mère ouïr les conversations, prenant peu à peu conscience que c’était là que se faisaient et se défaisaient les réputations ou que se décidaient les nominations aux postes clés. Aussi la baronne de Staël eut-elle à coeur tout au