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PHILIPPE ALEXANDRE

La politique en volume

- la PHILIPPE ALEXANDRE

u’on arrive à l’Elysée ou que l’on en parte, c’est toujours entrer dans l’histoire. Mais ce n’est pas la même chanson. Dans un cas, le monde vous appartient, et vous vous sentez de taille à presser tout votre peuple sur votre coeur. Dans l’autre, vous rasez les murs et vous vous appliquez à cacher aux yeux de vos contempora­ins vos regrets et votre dépit. Du quinquenna­t de François Hollande, les historiens écriront peut-être qu’il est passé inaperçu et n’a guère laissé de traces. Les livres qui ont jalonné ces cinq années 20122017 ne retiendron­t aucun fait notable comme si le président de la République s’était effacé du paysage dès le lendemain de son élection.

Pour raconter cette présidence sans relief et sans succès, le brillant journalist­e Franz-Olivier Giesbert n’a pas eu d’autre ressource que de reprendre ses éditoriaux et d’en publier ceux qu’il juge dignes de la mémoire des génération­s futures. Le titre est de la veine de l’auteur : Le Théâtre des incapables, et l’acteur principal, François Hollande, ne sort pas grandi, plutôt évanescent. L’exercice était délicat pour l’auteur tenté de supprimer de cette chronologi­e ses erreurs de jugement pour ne pas abîmer sa stature d’analyste perspicace et de prophète infaillibl­e. Il faut rendre justice à notre FOG national : dès le 24 mai 2012, trois semaines après l’élection de l’ancien premier secrétaire du PS, il écrit : « Ce n’est plus l’état de grâce, c’est l’état de béatitude, j’allais dire de bêtise. » Dès les premiers mois du quinquenna­t, Giesbert pronostiqu­e et visiblemen­t espère que François Fillon sera en 2017 le candidat de la revanche. Mais il n’est pas le seul, à si long terme, à ne pas débroussai­ller l’écheveau des luttes et manoeuvres politiques, Hollande régnant. Le 29 novembre 2012, dans la fièvre de l’impatience, il écrit : « En attendant, Fillon aura démontré qu’il avait le nerf et le coffre nécessaire­s à qui guigne l’Elysée. » Non, ce n’est pas de coffre-fort qu’il s’agit, et FOG corrige aussitôt son emballemen­t : « Ce qui se passe à droite est aussi un épiphénomè­ne qui, dans quelques années, aura laissé à peu près autant de traces que l’écume des vagues, engloutie par le sable, sous un soleil d’été. » Et quand il fignole ses mots d’auteur, certains particuliè­rement heureux, il truffe son propos de citations, de Turgot à la veille de la Révolution, de Churchill, de Valéry, de Bernanos et même de… François Bayrou pas encore rallié à Macron.

Après cette histoire dont Hollande lui-même, le héros malheureux, a préféré escamoter la fin, voici celle qui commence à peine dans les habituelle­s promesses d’amour éternel. Giesbert n’avait pas vu venir Macron, quand la droite se disputait furieuseme­nt la candidatur­e du successeur de Hollande. Le journalist­e, comme la quasi-totalité des Français, politiques, militants et journalist­es inclus, a d’abord laissé échapper Macron. Il faut dire que l’arrivée soudaine de l’ancien ministre de l’Economie est de ces épopées foudroyant­es qui défient le bon sens. La journalist­e Anne Fulda trace un portrait incrédule de cet enfant gâté de la Providence (dans les deux sens du mot : c’est aussi le nom de l’école des jésuites où Macron a brillé, et sa femme, Brigitte, enseigné). Sous la plume forcément émerveillé­e de la chroniqueu­se du Figaro, on suit la campagne éclair de ce Bonaparte de la politique qui semble, lui, ne jamais s’étonner de ses bonnes fortunes nombreuses et variées. Anne Fulda a recueilli tous les témoignage­s, comme celui de Françoise, la mère d’Emmanuel : « Evidemment elle est fière, écrit l’auteur, mais elle n’en demandait pas tant. A vrai dire, tout cela la dépasse. Et l’effraie. »

Avant de se lancer à la conquête de la présidence de la République, Macron a vécu deux grands amours également incroyable­s, tout à fait romanesque­s et donc à sa mesure. D’abord cette grand-mère qu’Emmanuel appelait « Manette » et « qui n’était pas, écrit la journalist­e, du genre à se faire appeler Grand-mère ou Mamie ». Elle a repéré très tôt que ce gamin-là n’était pas comme les autres. « A partir de là, écrit Anne Fulda, l’ancienne directrice de collège et le petit garçon [4-5 ans] à la gueule d’ange ont noué des liens peu communs. Exclusifs. Intenses. Exigeants. Extraordin­aires […] Des liens d’amour, de dépendance aussi. » L’autre amour, encore plus incroyable, c’est Brigitte : « Un amour complèteme­nt fusionnel […] Une femme bien moins lisse et convention­nelle que son image de bourgeoise rangée, professeur­e de français à Franklin, ne le laisse penser […] Pour elle, avec elle, Macron s’est choisi une autre famille. En kit. Avec enfants et petits-enfants. »

En guise de cadeau de bienvenue à ce nouveau locataire de l’Elysée, le journalist­e Dominique Seux a écrit un livre en forme d’assurance : La France va s’en sortir. Le titre est un peu trompeur. Il faudrait lire : « La France peut s’en sortir. » L’auteur, économiste, se veut raisonnabl­e. « Et, dit-il, les gens raisonnabl­es n’ont pas le vent en poupe. De Natacha Polony à Eric Zemmour, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, les imprécateu­rs sont partout. » En exposant ce qu’il faudrait faire et n’est pas fait, l’auteur consacre la moitié de son ouvrage à dresser la liste des carences dont pâtit notre « pays de beaux parleurs et de petits faiseurs ».

Ce qu’il faudrait surtout pour que « la France s’en sorte, c’est le secours de la chance, de cette Providence qui a toujours son mot à dire sur le cours de l’histoire ».

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