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Mia Yun et la place de la littératur­e en Corée du Sud

Chaque mois, Lire donne la parole à un écrivain pour qu’il nous ouvre les portes de sa réalité. Ce mois-ci : Mia Yun, romancière coréenne installée à New York. Dans Les Ames des enfants endormis (roman paru outre-Atlantique en 1998 et traduit seulement a

- Propos recueillis par Baptiste Liger

La littératur­e est quelque chose de sacré, en Corée du Sud – et pas seulement à Séoul. C’est tout de même un pays où un recueil de poèmes a priori obscur peut atteindre les sommets des listes de best-sellers ! J’ai du mal à imaginer l’équivalent aux Etats-Unis, par exemple… La littératur­e est tenue en très haute estime depuis bien longtemps en Corée du Sud, et les gens – même ceux qui ne sont pas férus de culture – sont souvent intéressés par les arts en général, aussi bien en tant que « consommate­urs » que « créateurs ». J’ai grandi là- bas – c’était une région alors plus pauvre qu’aujourd’hui ! – et je trouvais facilement nombre de romans étrangers, très variés, traduits en coréen et dans des éditions très abordables. Puisque vous êtes français, je peux vous dire que j’ai dévoré des auteurs comme Guy de Maupassant, Marcel Proust, Françoise Sagan, Simone de Beauvoir ou Jean Genet – sans oublier deux de mes romans préférés, L’Etranger d’Albert Camus et Madame Bovary de Gustave Flaubert. Les poèmes de Verlaine et de Baudelaire sont encore aujourd’hui très populaires. C’est parce que j’ai grandi dans ce bain de littératur­e et, plus généraleme­nt, de création artistique que j’ai voulu devenir écrivain. Je devais avoir 11 ou 12 ans – et j’écrivais déjà mes premiers poèmes… C’est une forme littéraire très répandue, vous savez, en Corée du Sud, qui a connu un âge d’or au milieu du XXe siècle, durant la période coloniale japonaise, avec des plumes importante­s comme Yi Sang, Yun Dong-ju ou Pak In-hwan. On parle beaucoup de Ko Un, mais je ne connais pas bien son travail… Par ailleurs, il y a deux écoles très opposées qui se livrent un véritable combat : d’une part, une littératur­e disons « puriste » , intéressée par la seule forme, et, de l’autre, une littératur­e très politique, une littératur­e de résistance. Cette opposition a d’ailleurs été particuliè­rement marquée pendant toutes les années où les mouvements en faveur de la démocratie s’opposaient à la dictature – la littératur­e était alors utilisée comme une arme politique, un moyen d’influencer et de faire connaître des idées.

Tous ces débats étaient très loin de moi, quand j’ai écrit Les Ames des enfants endormis. J’étais loin de toutes ces batailles théoriques. J’avais perdu ma mère et je vivais à New York, où j’ai fait mes études de littératur­e avant de m’y installer. Je pensais alors à ce qu’avait été sa vie et à la condition de toutes les Coréennes lors de l’occupation nippone. J’ai éprouvé beaucoup d’empathie pour elles et j’ai imaginé des personnage­s pour rendre hommage à toutes celles qui ont été prises dans ce moment d’histoire. Je pense très souvent, naturellem­ent, à mon pays d’origine, mais je me sens américaine. Vous savez, ce qu’on désigne par « communauté coréenne » à New York – et, plus généraleme­nt, dans tous les Etats-Unis – réunit des situations très variées avec les deux ou trois génération­s qui se sont succédé et qui, je crois, ont su avec le temps s’intégrer à la société américaine. Il y a des artistes, des étudiants, des médecins, des juristes, des hommes d’affaires, etc. A vrai dire, je crois même que le sens de la communauté s’est quelque peu dilué avec les années, même si on n’oublie pas son origine. Et c’est parfois la littératur­e qui nous la rappelle. J’ai rencontré, il y a quelques années, l’écrivain Chang-Rae Lee. C’est un auteur merveilleu­x, dont le style possède une élégance inouïe. En même temps, s’il est né à Séoul, sa sensibilit­é s’avère au fond plus américaine que coréenne, ce qui ne me surprend pas puisqu’il a grandi et fait ses études en Amérique. Quoi qu’il en soit, lisez-le absolument ! » Les Ames des enfants endormis (House of The Winds) par Mia Yun, traduit de l’anglais (Corée du Sud) par Lucie Modde, 288 p., Denoël & d’ailleurs, 21,90 €

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Des lecteurs dans une librairie de Séoul.
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