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Pour le meilleur et pour le pire

Un portrait tout en nuances de Magda Goebbels, l’épouse du dignitaire nazi, « juive » par adoption.

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Il a noirci des milliers de pages avant de trouver le sujet qui allait fixer ses obsessions et aimanter sa plume. Dans Ces rêves qu’on piétine, Sébastien Spitzer s’est finalement penché sur la figure de Magda Goebbels, la femme du célèbre bras droit de Hitler. Son ambition: « gratter sous les décombres, astiquer les conscience­s pour tenter de faire jaillir quelques mauvais génies ». Dans l’espoir de pouvoir un jour se consacrer à l’écriture. Ce journalist­e avait d’abord voulu « se frotter à la diversité du monde pour mieux comprendre ce dont sont faits les hommes ». Pendant des années, il a ainsi travaillé et voyagé dans plusieurs pays en guerre, dont l’Iran, l’Afghanista­n, le Mali, le Rwanda et le Soudan. « Ce bagage d’expérience­s, de sentiments, d’émotions et d’horreurs a été essentiel dans mon cheminemen­t intérieur, raconte-t-il. Jamais je n’aurais pu écrire sans avoir d’abord senti l’horreur de près. » Car celle-ci est partout dans ce premier ouvrage de fiction, à l’écriture dense et rythmée. Une première strate du récit nous transporte à l’intérieur du bunker où Magda Goebbels a passé ses derniers jours, enfermée avec ses six enfants, qu’elle finira par empoisonne­r avec du cyanure. « Le monde qui va venir après le Führer ne vaut plus la peine qu’on y vive », écrit-elle tandis que les troupes de l’Armée rouge assiègent Berlin. Par une série de retours en arrière, la narration tente de cerner la per- sonnalité complexe de cette femme qui se hissa au sommet du pouvoir en bafouant ses « origines » juives. Une seconde strate suit le parcours d’un groupe de rescapés qui traversent la campagne allemande après avoir été libérés d’un camp. Parmi eux, une jeune enfant, Ava, va devenir la détentrice d’un rouleau contenant les lettres griffonnée­s par un homme assassiné en camp: Richard Friedlände­r écrit à la fille qu’il a élevée comme la sienne et qui lui a tourné le dos pour le laisser mourir. Cette fille, sa fille adoptive, c’est Magda Goebbels. Distillées au fil du récit comme des bouteilles à la mer, ces lettres paternelle­s sont autant de maillons qui, en se resserrant peu à peu, vont lier tous les acteurs de ce roman poignant sur l’horreur, la transmissi­on et l’amour malgré la négation. Estelle Lenartowic­z

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 ??  ?? Ces rêves qu’on piétine par Sébastien Spitzer, 320 p., L’Observatoi­re, 20 €
Ces rêves qu’on piétine par Sébastien Spitzer, 320 p., L’Observatoi­re, 20 €

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