Promenons-nous dans les « moi »
La forêt et les arbres évoquent, pour la psychanalyse, l’homme et la femme. Mais pas seulement…
Dans l’univers du conte, sont tapis à la lisière du grand bois, la solitude, le silence et l’obscurité. Ces angoisses enfantines, jamais tout à fait éteintes chez la plupart des humains, ne sont pas sans rappeler la forêt primordiale. Freud qui explora si longtemps l’ombilic des rêves, découvrit que « Les poils qui garnissent l’appareil génital des deux sexes sont décrits par le rêve sous l’aspect d’une forêt, d’un bosquet » . « Le jardin est un symbole fréquent des organes génitaux de la femme » , écrit-il, évoquant boutons et fleurs. Ou encore, « La verge trouve ses substitutions symboliques dans les objets qui lui ressemblent par la forme, et notamment… les arbres » . « Quant à la toison génitale des deux sexes, le rêve la décrit comme broussailles. La topographie compliquée des parties sexuées féminines permet de saisir que ces dernières sont très souvent présentées comme un paysage, avec des rochers, des forêts et de l’eau. » , constate-t-il, alors que le pénis est figuré comme une simple tuyauterie. Ce symbolisme paraît naïf, relevant de la psychanalyse de comptoir. Il n’em- pêche que ces images hantent le folklore, les contes, le parler populaire toujours prompt à la gauloiserie imagée. Ainsi, la forêt broussailleuse serait femme, et l’arbre, homme viril.
HORIZONTALITÉ ET VERTICALITÉ
L’arbre se déploie en majesté. Il est cette généalogie marquant la filiation, qui établit que chacun est « fils de…, petit-fils de… ». Renvoyant à l’ordre social, il est l’emblème du sommet de l’édifice politique, l’autorité qui pousse vers le haut. Songeons à de Gaulle qu’on peine à imaginer simple arbrisseau. « Les chênes qu’on abat » , disait Malraux à propos de l’homme d’Etat, reprenant un vers célèbre de Victor Hugo. Le chêne millénaire renvoit à la figure du Père, principe de filiation et de stabilité. Les bois seraient « de gauche » , évoquant les pique-niques et les randonnées qui firent la merveilleuse vitalité du Front populaire. Au contraire, Peter Wohlleben, dans une interview à Libération, vantant la communauté solidaire des arbres, affirme sans ciller : « Si les arbres pouvaient voter, pas un seul ne voterait à droite ! » Méfions-nous donc de la façon dont on fait parler les arbres, les forêts. Le nazisme a toujours affirmé que le peuple « racial » formait une communauté organique, close, une forêt à tout jamais fermée où l’autre n’est pas le bienvenu: malades mentaux, communistes, sang- mêlé et le Juif – l’étranger par essence. Dans cette vision mortifère, « la feuille n’existe que par la branche où elle pousse ; la branche reçoit sa vie du tronc et ce dernier dépend des racines qui reçoivent leur force du sol. L’arbre à son tour n’est qu’un membre de la forêt » , affirme une publication SS de l’époque. On croit entendre Jünger ou Heidegger se pâmant dans la Forêt- Noire. Freud préférait l’humble cueillette aux champignons. L’enracinement, vieux topos de la droite extrême, est une métaphore explosive à manier avec une infinie précaution.