C’est beau la bourgeoisie
Alice FERNEY Une fresque classique et inspirée sur une vieille famille de la droite catholique française.
La majuscule est presque une coquetterie. Portant leur patronyme tel une seconde peau, les membres du clan Bourgeois ont la tête et le nom de l’emploi. Archétype d’une famille de la haute bourgeoisie catholique, ils arborent leur rang avec élégance, solennité et noblesse de coeur. Dans une fresque, Les Bourgeois, rappelant Roger Martin du Gard, Alice Ferney raconte l’histoire d’une dynastie française de la droite « tradi », de la fin du XIXe siècle à nos jours. A défaut de placer le projecteur sur l’un ou l’autre de ses nombreux personnages, l’écrivaine s’intéresse au temps long, donnant à voir comment petits et grands événements affectent une lignée familiale, parfois par à-coups, parfois tout en douceur, « dans le feuillage des années » . Du 16e arrondissement à Saint-Martin et Périgueux, le récit traverse les époques en un tressage de naissances, de mariages, de promotions et d’enterrements. Et ils sont nombreux! Car les Bourgeois sont une fratrie de pas moins de dix enfants – huit frères et deux soeurs –, nés dans l’entre-deux-guerres. Henri, le père, éditeur et royaliste, ( « le plus intelligent des régimes » ) est de ceux qui vouvoient leur femme et s’insurgent contre la mode du divorce. Mathilde, la mère, s’épanouit dans son rôle de maîtresse de maison, mais perd bientôt la vie en donnant naissance à sa petite dernière. Elevés dans la sérénité qu’offre le confort bourgeois, ces petites têtes blondes grandissent avec un sens inné de leur place dans la société, eux qui « n’avaient pas besoin du progrès social » . Les fils font carrière dans le droit, la médecine ou l’armée, tandis que les filles épouseront tout naturellement des avocats, des médecins et des militaires. Rares seront les rebelles, mais nombreux ceux qui verront leur conservatisme s’infléchir au grès des évolutions successives. Tournant du récit, la Seconde Guerre mondiale montre les Bourgeois en proie à un dilemme entre obéissance, et patriotisme. De Gaulle ou Pétain? Henri sera anti-allemand « tout en faisant confiance au Maréchal » . Avec un grand talent de conteuse doublé d’une plume précise et élégante, Alice Ferney observe, décrypte mais ne juge jamais, transformant la chronique familiale en une redoutable étude de moeurs. Estelle Lenartowicz