Gare au gorille
Une incroyable fresque sur la rencontre des deux aventuriers et créateurs absolument géniaux de King Kong. Erudit et passionnant.
Ardent défenseur de la « littérature-monde » , créateur du festival Etonnants Voyageurs à SaintMalo, Michel Le Bris n’est pas du genre à faire les choses à moitié. La preuve, le voici de retour avec un fort volume plein comme un oeuf. Les neuf cents pages de son trépidant Kong se dévorent et vous collent à votre fauteuil.
Les deux aventuriers qui nous accompagnent ici ont bel et bien existé. Le premier est un maigre géant du nom d’Ernest B. Schoedsack – « Shorty » pour les intimes. Il vient de l’Iowa, a appris sur le tas le métier de cameraman et a travaillé avec Mack Sennett. Emportant immanquablement sa caméra sur les champs de bataille, ce fou de cinéma n’a jamais craint de se risquer dans des terres ravagées par le choléra, en mission pour la Croix-Rouge. Le second, le sudiste Merian C. Cooper, s’est illustré pendant la Grande Guerre lors de laquelle il a échappé une première fois à la mort. Avant de gagner la Pologne, d’être capturé par les Cosaques, de manquer d’y passer à quelques kilomètres de Moscou et d’être finalement sauvé par un juif d’Odessa !
Schoedsack et Cooper se rencontrent alors en 1919, à Vienne, dans une Europe en plein délitement. Les comparses se retrouvent des années plus tard sur les docks de Londres où ils fomentent un projet commun. Qui les amène d’abord à prendre la direction de l’Abyssinie. On ne vous en dira pas plus. Sinon que ces deux-là se complè- tent parfaitement et pensent que les nomades sont plus intéressants que les sédentaires. Qu’ils vont réaliser des documentaires marquants, inventer un cinéma du réel, visant à dire le monde. Et un jour, réussir à convaincre le producteur David O. Selznick de soutenir un film dont le héros serait un gorille : le mythique King Kong rugissant sur les écrans américains en 1933…
Kong est, disons-le, un régal de tous les instants. Il faut se faire violence pour ne pas en lire un chapitre de plus et prendre le temps de le savourer pleinement. L’érudition et la maîtrise narrative de Michel Le Bris emportent tout sur leur passage. L’auteur de La Beauté du monde signe un fier hommage à une littérature qui va de Arthur Conan Doyle à Robert Louis Stevenson en passant par Jack London ou le trop méconnu Alfred E.W. Mason et ses Quatre plumes blanches. Sa fresque généreuse et bouillonnante trimbale le lecteur dans une Turquie en train de sortir de grands tumultes, dans la jungle du Siam au milieu des bêtes sauvages, dans l’usine à rêves d’Hollywood, ou dans un New York en perpétuel mouvement. Fermez illico les écoutilles, débranchez le téléphone. Vous ne serez plus là pour personne une fois embarqués dans l’aventure! Alexandre Fillon