Les encombrants
Guillaume POIX – Thomas FLAHAUT D’un côté, une décharge électronique au Ghana; de l’autre, une Alsace secouée par un incident nucléaire : deux décors de chaos qui marquent les débuts romanesques de ces deux auteurs.
Lavoisier avait raison: « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Il n’imaginait pas que sa célèbre formule allait inspirer, en cette rentrée 2017, deux jeunes auteurs débutants – sans que pour autant, ces premiers romans relèvent du simple recyclage littéraire… Il n’est pas certain que votre prochaine destination touristique se nomme Agbogbloshie. Derrière ce nom se cache une décharge électronique où s’empilent congélateurs, fers à repasser, machines à café, tablettes et Smartphones – bref, tous ces appareils inertes « jadis animés par des logiciels […] sur lesquels ont rêvé, sué, buché, fantasmé ou joui ce que la terre porte d’hommes et de femmes ». Cette montagne de cadavres plas- tiques et métalliques se situe au Ghana, non loin d’Accra, et c’est là-bas que trois adolescents, Jacob, Isaac et Moïse, tentent de récolter toutes les matières, afin d’en tirer quelques cedis. Bénéficiaire du mécénat d’un grand groupe pétrolier, un jeune photographe franco-suisse, Thomas, se rend alors sur ces lieux de chaos et de toxicité. L’artiste et ceux qu’il regarde ne feraient-ils pas, au fond, la même chose? Le prix à payer est-il, à plus d’un titre, celui du corps? Version romanesque d’une pièce de théâtre ( Waste), Les Fils conducteurs font découvrir l’évident talent de plume du dramaturge et metteur en scène Guillaume Poix. Si son récit souffre de quelques coups de mou dans la narration, l’auteur compense (largement!) par la qualité et l’inventivité de ses dialogues et la beauté âpre de ses descriptions. Et n’oubliez pas que derrière le mot « fils » – gare à la phonétique ! –, il y a non seulement des câbles, mais aussi des garçons…
INCIDENT À FESSENHEIML’expression « déchets industriels » s’applique décidément à l’humain, à l’image des malheureux protagonistes d’Ostwald de Thomas Flahaut. La famille de Noël et Félix a déjà pris un sacré coup, lors de la fermeture de l’usine Alstom de Belfort, provoquant la séparation de leurs parents. La mère restera dans cette ville ; le père partira pour Ostwald, à quelques kilomètres de Strasbourg. Mais les drames s’enchaînent et un « grave incident » survient à la centrale de Fessenheim, valant à la population d’être évacuée et amenée dans un camp. Mieux vaut alors peut-être s’en échapper – à bien y penser, « tout ce qu’il […] reste à faire, c’est prendre la Golf et rouler dans le silence. Jusqu’à ce que quelque chose arrive » . Gare toutefois aux singes gris… Jouant avec les codes du roman post-apocalyptique, Thomas Flahaut livre ici un bel hommage à l’Est de la France. Et, derrière l’histoire de famille, Ostwald se révèle une fable écologique et politique d’une redoutable acuité. Baptiste Liger