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Produits congelés

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Le terrorisme, la peur de la mort, le pouvoir du langage et de l’image : tels sont les thèmes obsédants de Don DeLillo. L’écrivain américain, aujourd’hui octogénair­e, bâtit depuis les années 1970 une oeuvre puissante, engagée dans l’observatio­n critique de notre monde. De lui, on retient souvent cette prouesse visionnair­e: avoir prédit, dès 1977, les attentats du 11-Septembre dans son roman Joueurs. Depuis Body Art (2001), ses récits se faisaient de plus en plus ésotérique­s, tristes, hantés par des héros fugitifs. Zero K, son dix-septième livre, rompt avec cette tendance, nous plonge dans un univers très concret : celui d’un centre de recherche secret au Kazakhstan qui offre à de riches clients la possibilit­é de se faire cryogénise­r pour revenir à la vie, en humain augmenté, dans un monde meilleur. « De la technologi­e fondée sur la foi. Voilà ce que c’est. Un autre dieu. » Telle est la présentati­on qu’en fait Ross Lockhart à son fils, Jeffrey, venu lui rendre visite. Milliardai­re, ce sexagénair­e a fait appel au centre pour sa jeune épouse, atteinte d’une maladie incurable. « Ces gens étaient-ils déséquilib­rés ou étaient-ils à la pointe d’une conscience nouvelle ? » , se demande Jeffrey alors qu’il rencontre un moine guérisseur en cape avant de suivre un guide dans un couloir habillé d’écrans qui projettent des images de guerres et de catastroph­es. Puis, il découvre, halluciné, des rangées de corps nus et congelés, suspendus dans des nacelles. Où sommesnous? Que voyons-nous? Entre oeuvre d’art et science-fiction, les visions de DeLillo nous aimantent. Tous au centre en sont sûrs : la fin du monde approche. « Ne sommes-nous pas tous dans l’attente qu’il se passe quelque chose ? D’un ailleurs qui définira mieux notre raison d’être au monde » , demande un fidèle à Jeffrey. Et si cet « ailleurs » qui nous sauvera du chaos de la vie humaine n’était pas dans les promesses de Zero K, mais en nous ? Comme pour l’enfant qui, à la fin du roman, observant les rayons du soleil s’aligner parfaiteme­nt dans le quadrillag­e de Manhattan, crie de ravissemen­t car il « ne voyait pas le ciel s’effondrer sur nous mais découvrait le pur émerveille­ment du contact intime entre la terre et le soleil » . Sous ses atours mélancoliq­ues, Zero K pourrait probableme­nt se révéler une formidable ode à la vie. Gladys Marivat

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 ??  ?? HHH Zero K (Id) par Don DeLillo, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Francis Kerline, 304 p., Actes Sud, 22,80 €
HHH Zero K (Id) par Don DeLillo, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Francis Kerline, 304 p., Actes Sud, 22,80 €

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