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Une femme sans pitié

David VANN Apprécié pour ses romans sur les grands espaces et les tragédies familiales, l’auteur nous livre ici une saisissant­e relecture de Médée.

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Dans la mythologie grecque et la tragédie classique, Médée – fille d’Æétès, roi de Colchide – est l’incarnatio­n de la passion destructri­ce et de l’amour assassin. Elle n’hésite pas à trahir son père en aidant Jason dans sa quête de la Toison d’or. Bannie du royaume, condamnée à l’errance et répudiée, elle est prête à tout pour assouvir sa soif de vengeance – y compris au fratricide et à l’infanticid­e. De Sénèque à Laurent Gaudé en passant par Corneille ou Jean Anouilh, elle inspira d’innombrabl­es hommes de lettres. Nulle surprise de voir aujourd’hui David Vann aborder une telle figure, d’autant que l’Américain n’a jamais caché son attirance pour les tragédies grecques, lui,

• dont nombre de romans prennent leur source dans un événement personnel ô combien tragique que fut le suicide de son père, alors qu’il avait treize ans. Qu’elles soient des romans de « nature writing » ( Sukkwan Island, prix Médicis Etranger ; Désolation­s) ou des drames psychologi­ques ( Aquarium), ses histoires se déroulent toujours au sein de familles déséquilib­rées. Médée s’impose donc naturellem­ent dans l’oeuvre en cours de l’écrivain.

Dans son avant-propos, David Vann révèle ce qui enclencha la mécanique de ce nouvel ouvrage: sa participat­ion à un documentai­re français, Quand les Egyptiens naviguaien­t sur la mer Rouge réalisé par Stéphane Bégoin. Il recompose ici une partie du récit d’origine ; mais plus qu’une relecture moderne, on apprécie la dimension féminine, sensuelle et parfois sexuelle générée par une langue et des dialogues contempora­ins. Bien plus encore, Médée semble ici maîtriser son destin, elle est la femme qui écrase le monde ( et les hommes au passage). Elle est le souffle d’un mythe dont elle était, jusqu’alors, le centre. Soyons honnêtes : L’Obscure Clarté de l’air s’adresse avant tout aux férus et aux amateurs de mythologie grecque. Mais comme souvent chez Vann, la nature renvoie l’être humain à son animalité, à son éternité. A sa petitesse et à sa grandeur. Hubert Artus

L’Obscure Clarté de l’air (Bright Air Black) par David Vann, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski, 272 p, Gallmeiste­r, 23 En librairie le 5 octobre 2017.

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