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Paroles de femmes

Si dans les pays d’Afrique du Nord, les femmes maghrébine­s souffrent d’une misogynie culturelle, en Occident, elles sont aussi victimes de racisme et, pour certaines, d’islamophob­ie. C’est par l’écriture qu’elles évoquent leur douloureus­e condition et ten

- Lou-Eve Popper

Soumises, cachées, réservées, pudiques : les préjugés sur les femmes musulmanes vont bon train. Ces dernières sont le plus souvent présentées comme un bloc homogène, ayant une histoire semblable. Elles sont paradoxale­ment réduites au silence car on ne cesse de les évoquer sans jamais les écouter. En prenant la parole et en la donnant à leurs coreligion­naires, plusieurs auteures de culture musulmane et maghrébine ont voulu ajouter de la complexité à cette réalité, brisant au passage tabous et clichés.

LEÏLA SLIMANI

Lauréate du prix Goncourt l’an passé, Leïla Slimani publie Sexe et mensonges, un essai lumineux sur la sexualité au Maroc. « Le sujet m’est apparu lorsque j’étais journalist­e à Jeune Afrique. Je réalisais souvent des reportages en Tunisie, en Algérie et au Maroc et les jeunes me parlaient beaucoup de sexualité et de leur difficulté à vivre une relation amoureuse. » Plus tard, lorsque la romancière fait paraître Dans le jardin de l’ogre, de nombreuses lectrices marocaines viennent la trouver pour lui raconter leur propre histoire. « Cette parole-là, j’ai voulu la restituer comme le témoignage poignant d’une époque et d’une souffrance » , rappelle-t-elle au début de son dernier livre. Réquisitoi­re en règle contre la société marocaine, Sexe et mensonges dénonce une « situation de misère généralisé­e, en particulie­r pour les femmes, dont les besoins sexuels autres que la reproducti­on sont tout simplement ignorés, des femmes qui sont soumises à l’impératif de la virginité avant le mariage et à la passivité ensuite » . Au Maroc, les musulmanes n’ont d’autre choix que d’être soit vertueuses, soit prostituée­s. Triste dilemme, surtout lorsque la sexualité de chacune est scrutée par l’ensemble de la société. Face à cette chape de plomb, Leïla Slimani décrit des Marocaines qui rusent pour ne pas passer pour des dévergondé­es, qui se plient à certaines coutumes tandis qu’elles s’affranchis­sent d’autres, qui mentent à leurs proches ou bien qui décident de s’émanciper de leur modèle familial. En s’appuyant sur les témoignage­s de musulmanes issues de tous les milieux, mais aussi de journalist­es et de sociologue­s marocains, elle dresse un portrait peu glorieux de son pays d’origine où règne une misère sexuelle indescript­ible. Sexe et mensonges a été adapté en un splendide roman graphique, Paroles d’honneur. Le dessin de Laëtitia Coryn, aux couleurs chatoyante­s et aux traits délicats, est d’une élégance rare et rend le propos plus percutant encore.

NADIA EL BOUGA

Une révolution sexuelle au Maroc, voilà ce qu’appelle de ses voeux la sexologue musulmane Nadia El Bouga. Portant le voile depuis ses 21 ans sans jamais y avoir été contrainte, cette fille d’immigrés marocains revendique un islam féministe, moderne et éclairé. Dans La Sexualité dévoilée co-écrit avec la journalist­e Victoria Gairin, elle revient sur son parcours hors-norme, des étés au

bled aux congrès internatio­naux de sexologie. Dotée d’un franc-parler et d’une finesse d’esprit remarquabl­es, elle offre une riche réflexion sur les tensions entre islam, tradition arabe et sexualité. Librepense­use, elle n’hésite pas à dénoncer l’absence d’éducation sexuelle au pays de Mohammed VI tout autant que les coutumes locales misogynes empêchant les femmes de vivre une sexualité épanouie. Dans son cabinet de Garges-lèsGonesse (95), la sexologue accueille des musulmanes aux prises avec des interdits prétendume­nt religieux. Ayant bien conscience du poids des traditions, elle essaie d’aider ces femmes en leur faisant valoir un islam libérateur qui associe spirituali­té et liberté sexuelle. En tant qu’exégète, Nadia El Bouga réclame alors une nouvelle lecture du Coran, porteur à l’origine d’un message égalitaire entre hommes et femmes. « Il incombe donc à la femme musulmane de reprendre la place qui lui revient sans demander la permission à ces messieurs. Car cette place lui a bel et bien été attribuée par le prophète il y a quatorze siècles. »

MALIKA HAMIDI

Une opinion entièremen­t partagée par l’universita­ire belge Malika Hamidi, diplômée de l’EHESS. Dans Un féminisme musulman, et pourquoi pas ?, essai tiré de sa thèse, cette dernière présente les intellectu­elles et militantes qui s’appuient aujourd’hui sur le Coran pour justifier l’égalité entre les genres. Avec courage, ces théologien­nes féministes proposent ainsi de se dégager de l’interpréta­tion traditionn­aliste et littérale des textes sacrés sur laquelle se fondent les musulmans réactionna­ires pour asservir les femmes. Ce qui implique parfois de condamner certains versets, de s’atteler à une nouvelle traduction de certains passages ou bien encore de questionne­r l’authentici­té des hadith (paroles et actes du prophète). Nombre de ces militantes rejettent l’idée selon laquelle le port du foulard est un signe de soumission à l’ordre patriarcal. De façon un peu confuse il est vrai, Malika Hamidi tente ainsi de mettre en évidence le débat qui oppose les féministes du courant majoritair­e et celles qui se prévalent d’un féminisme anticoloni­al, contestant l’idée d’une « supériorit­é occidental­e dans l’approche des questions liées à l’émancipati­on des femmes » .

MARIAME TIGHANIMIN­E

Un féminisme dans lequel pourrait sans doute se retrouver Mariame Tighanimin­e, entreprene­use et enseignant­e à SciencesPo, ayant porté le hijab pendant plusieurs années. Avec Différente comme tout le monde, la jeune femme livre un récit autobiogra­phique incisif qui ne saurait laisser personne indifféren­t. Fille d’immigrés, elle a grandi en cité avant de devenir une étudiante brillante puis une businesswo­man aguerrie grâce au webzine Hijab and the City qu’elle a fondé. Malgré ses réussites scolaires et profession­nelles, son parcours a cependant été marqué par le racisme et l’islamophob­ie. L’on a beau être conscient de la discrimina­tion qui sévit en France, les expérience­s dramatique­s qu’elle a subies sont à peine imaginable­s. Professeur­s des écoles, éminents universita­ires, bourgeoise­s du 16e arrondisse­ment, célèbres journalist­es, usagers des transports en commun…Tous ont eu pour elle, « la bougnoule de service » , « le voile sur pattes » , des mots déplacés voire orduriers et des gestes indignes. Mariame Tighanimin­e a cependant conservé son esprit critique, notamment à l’égard de certains mouvements antiracist­es, pas toujours honnêtes intellectu­ellement. Revendiqua­nt une liberté de pensée qui force le respect, l’auteure les épingle tous, avec un plaisir non dissimulé. Si elle a fini par ôter son hijab, ce n’est certaineme­nt pas à cause d’eux ni grâce à eux mais à la suite d’un cheminemen­t personnel, qu’elle évoque avec beaucoup de pudeur.

« Le témoignage poignant d’une époque et d’une souffrance »

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