l’oisif Fais comme
Apôtre de la décroissance, le rédacteur en chef de la revue britannique The Idler voit son best-seller, L’Art d’être libre dans un monde absurde, paru il y a dix ans, enfin traduit en français. Portrait.
Parfois, certains livres font mouche soit parce qu’ils sont dans l’air du temps. Soit parce que leurs auteurs sont brillants. Soit encore pour ces deux raisons à la fois, c’est le cas pour le deuxième ouvrage de l’essayiste britannique Tom Hodgkinson. Ouvertement anticapitaliste, son manuel de vie veut faire de nous des créateurs plutôt que des consommateurs, des flâneurs plutôt que des bourreaux de travail. Il suggère ainsi de partir s’installer à la campagne, de quitter les jobs qui nous rendent malheureux ou tout simplement de moins travailler pour profiter de la vie : « Aujourd’hui, avec une semaine de travail à temps plein de 35 à 40 heures en général, il est trop difficile d’y voir clair et d’avoir assez d’énergie à la fin de la journée pour faire quoi que ce soit de créatif, comme préparer du compost, s’occuper des poules, faire du miel, du pain, de la bière, ou tout autre passion » . Autant de concepts qui séduisent aujourd’hui une partie de la jeunesse, fatiguée de vivre dans un monde certes confortable, mais cerné par l’anxiété, l’ennui et la dépression.
UN IDÉAL DE VIE
En bon lettré, l’ancien élève de Cambridge a pris soin d’étayer son propos en s’appuyant sur de multiples références littéraires qui vont des existentialistes aux anarchistes, en passant par des historiens spécialistes du Moyen Age, une époque qu’il associe à l’âge d’or. Cependant, Tom Hodgkinson n’est pas qu’un philosophe de bureau, bien au contraire. L’écrivain, bientôt quinquagénaire, a souvent mis en pratique son idéal de vie. Suggérant dans son livre de multiplier les petits boulots, il a été tour à tour disquaire puis vendeur de skateboards. A 23 ans, rebuté par son travail de documentaliste au Sunday Mirror, il décide de fonder The Idler (que l’on pourrait traduire en français par « l’oisif » ) , un magazine qui explore les alternatives à une vie laborieuse. Dix ans plus tard, en 2002, il quitte Londres avec femme et enfants pour s’installer dans le Devon, au SudOuest de l’Angleterre. C’est là, au beau milieu de la campagne anglaise, qu’il écrit son premier livre How to be Idle (non traduit en français), suivi de L’Art d’être libre dans un monde absurde.
Ce dernier fourmille ainsi de petits conseils tirés de sa propre expérience pour se libérer des chaînes de notre société consumériste. Comme, par exemple, retirer sa montre, arrêter les prélèvements automatiques, jouer du ukulélé ou encore s’occuper de son potager, l’un de ses passe-temps favoris : « Ma vie s’est considérablement améliorée, écrit-il. Je m’intéresse à la fois au jardinage et à la boisson, soit deux plaisirs alors qu’il n’y en avait qu’un auparavant. Les deux vont bien ensemble : rien de tel qu’une bonne bière après avoir passé deux heures à bêcher, et rien de tel que deux heures à bêcher après une nuit passée à boire. »
ESSAYER SANS S’ENGAGER…
Un rien provocateur, Tom Hodgkinson exhorte également ses lecteurs à se passer de lave-vaisselle pour ajouter de « la poésie dans le travail domestique » ou encore à remplacer la lumière électrique par des chandelles… pour ne plus voir le désordre ! Parfois, son ton est même professoral pour défendre des propositions un rien naïves. « Si vous n’aimez pas la classe où vous vous trouvez, bougez-vous. Un paysan est bien devenu pape. » Malgré ces petites maladresses, L’Art d’être libre… est porté par un souffle de vie qui devrait ragaillardir n’importe quel individu déprimé par le monde actuel. Sans compter que Tom Hodgkinson est un être fondamentalement sympathique, qui assume parfaitement ses contradictions. Comme celle de revenir habiter à Londres en 2015 malgré ses multiples exhortations à quitter la ville. « C’est bien la preuve qu’il ne faut jamais m’écouter » , plaisante-t-il. Le sémillant auteur avait pourtant laissé entendre un éventuel retour à la capitale, lui qui écrivait déjà en 2006 : « Vous pouvez tout à fait vous amuser à faire de votre vie une suite d’expériences. Si cela ne marche pas tentez- en une autre. […] Dans un monde où il faut s’engager sans cesse, il est libérateur de faire le dilettante. Ne vous engagez à rien et essayez tout » . Culotté, jusqu’au bout.
Lou-Eve Popper
« Il est libérateur de faire le dilettante »