Descente aux enfers
Une femme livre dans l’anonymat un récit saisissant sur l’inceste qu’elle a subi.
C’est l’un des livres les plus violents qui nous ait été donné de lire récemment. Jours d’inceste raconte le cauchemar d’une femme qui, de sa petite enfance jusqu’à l’âge de 21 ans, a été violée par son père. Récit, témoignage, autofiction? La note de l’auteure, placée au début de l’ouvrage, laisse peu de place au doute : « Je crois que tout le monde a le droit de raconter son histoire. Pour diverses raisons, j’ai choisi de garder l’anonymat pour raconter la mienne. J’ai modifié de nombreux détails en conséquence. Mais je n’ai pas touché à l’essentiel. » Pourtant, et c’est aussi ce qui rend le texte aussi troublant, l’on est toujours en droit de se demander, à chaque page, quelle est la part d’invention dans cette oeuvre littéraire glaçante, d’une indéniable puissance narrative. Quoiqu’il en soit, l’auteure, animée d’une rage sourde, a décidé de ne rien nous épargner. Ni les humiliations, ni les paroles malveillantes, ni les gestes pervers, ni même, tabou ultime, le plaisir qu’elle a fini par prendre au cours de cette relation incestueuse. Un moyen pour la jeune fille nubile qu’elle était de survivre à la violence de l’acte, sorte de syndrome de Stockholm poussé à l’extrême. Avec un courage hallucinant, l’écrivaine évoque ainsi, dans un langage cru, le désir mêlé d’effroi pour son père et l’emprise qu’il a eue sur elle : « Un enfant ne peut pas s’échapper. Et plus tard, quand j’aurais pu, il était trop tard. Mon père contrôlait mon esprit, mon corps, mon désir. J’avais envie de lui. » Prise au piège, face à un homme dont elle est convaincue qu’il veut la tuer, l’auteure se voit comme Shéhérazade, donnant chaque nuit du plaisir sexuel au monstre paternel pour sauver sa peau. Par la suite, toute sa vie sentimentale n’aurait été qu’une répétition à l’infini de ce traumatisme. Car la jeune femme n’a eu de cesse de coucher avec des hommes aux ressemblances troublantes avec son père. L’auteure a d’ailleurs une conscience aiguë de cet éternel recommencement mais ne peut faire autrement. Comme si le disque était définitivement rayé, qu’aucune réparation n’était possible. Terrifiant.
Lou-Eve Popper