MACRON: SON ENVOL, SON ROMAN, SA FEMME
Quand les armées américaines emmènent des journalistes dans leurs opérations, ils sont qualifiés d’ « embedded » c’est-à-dire « enrôlés, embarqués ». En France, les candidats présidentiels, dans leurs dangereuses et cruelles campagnes, sont
accompagnés par des écrivains patentés qui les consolent peut-être des insupportables suppôts des médias.
Le premier, Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de la République en 2007, a emporté dans ses bagages la dramaturge et romancière aux innombrables succès, Yasmina Reza. Résultat : un récit intitulé L’Aube le soir ou la nuit dont l’ex-président n’a été, dit-on, qu’à moitié satisfait. Sept ans plus tard, François Hollande rééditait l’opération « embedding » avec un jeune romancier, Laurent Binet. Le titre de l’ouvrage : Rien ne se passe comme prévu et le nouveau chef de l’Etat n’a pas eu à s’en plaindre. En sera-t-il de même avec l’auteur Philippe Besson – « embedded » par Emmanuel Macron? Le lecteur de ce journal de campagne risque de se poser la question dès la première page.
Philippe Besson annonce aussitôt la couleur avec cet aveu liminaire : il a de l’affection pour son Personnage de roman qu’il appelle Emmanuel M. comme si la pudeur l’empêchait d’inscrire son nom propre en toutes lettres. « Nous nous sommes croisés à un dîner… Nous nous voyons de loin en loin… Nous parlons de la vie ordinaire, de littérature, assez peu de politique. » Le romancier de Macron met un point d’honneur à se tenir « à bonne distance du pouvoir » . Mais raconter une élection présidentielle en s’interdisant la politique est une folle gageure. Besson ne va pas longtemps tourner autour du pot mais plutôt tomber dedans. En octobre, à six mois de l’élection, il écrit : « Je me rends compte que j’ai abdiqué ma neutralité (si j’en ai jamais eu). Je me rends compte que j’ai envie qu’il arrive » . A vouloir se tenir à l’écart du pouvoir, de sa conquête et de ce qu’il appelle avec un mépris absolu « la tambouille journalistique » , que va-t-il bien pouvoir écrire? Emmanuel M. pose la question à l’auteur avec une pointe d’inquiétude. Réponse : « Hernani… Une force qui va » . Puis, un autre jour, délaissant Hugo et sa bataille, il dit : « un roman d’aventure » .
En définitive, en fait de roman, c’est la campagne racontée par Macron lui- même qui fait de Besson son Las Cases. Celui-ci affirme sans remords : « Je sais parfaitement que le risque existe que je cède à la séduction, que je sois instrumentalisé, voire manipulé. » De temps à autre et pour échapper à son piège, l’auteur se permet quelques critiques. Ainsi, le livre de Macron, Révolution, n’est pas « à la hauteur du big bang que le candidat appelle de ses voeux » . Ou, après un meeting au parc des expositions de Paris devant plus de dix mille supporters, l’écrivain ose ce commentaire : « Quand sa voix se brise et que son regard se lève vers le ciel, c’est franchement too much. On veut bien un aventurier mais sûrement pas un halluciné. »
Pour raconter l’ascension, la « fabrique » de Macron, l’excellente journaliste, Cécile Amar, elle, n’a pas bénéficié – comme l’auteur d’Arrête avec tes mensonges – des confidences à répétition du Président. Son livre est constitué de toutes celles, souvent hélas ! anonymes, des confrères, des compagnons ou des rivaux de l’ancien ministre de l’Economie. Aussi a-t-elle été submergée par tous les témoignages qu’elle a récoltés et l’on a un peu de mal, comme chez Besson, à discerner sous l’avalanche des propos recueillis, le point de vue, le jugement, la voix de Cécile Amar. Peut-être a-t-elle été déroutée par la méthode d’Emmanuel Macron qui consiste, écrit-elle, « à feindre une complicité, imposer une familiarité pour créer une relation » .
Sous la plume de la journaliste, le futur chef de l’Etat, au fil de son incroyable envol, use de la technique bien connue du double discours. Ses « amis » , sans se démasquer, décrivent « un type retors » . Et il doit y en avoir beaucoup d’autres, dans cette classe politique que Macron pourfend après l’avoir rejointe et embrassée… Ces deux livres, si dissemblables pourtant, notent le rôle singulier joué par Brigitte Macron dans cette aventure politico-romanesque. Selon Cécile Amar, « elle est le chien de berger des aveugles. Elle lui dit : là il y a de l’humain, fais attention » .
Dès son entrée à l’Elysée, le nouveau Président a voulu doter la « première dame » d’une existence, d’un statut que la République lui a toujours refusé. En attendant de voir cette lacune corrigée, Brigitte Macron peut lire avec intérêt et surtout un plaisir extrême la saga de Joëlle Chevé, L’Elysée au féminin, de la IIe à la Ve République, la douloureuse et souvent humble histoire de toutes ces premières dames qui, précise l’auteur, « se sont vu assigner un rôle qui, pour n’être pas écrit, n’en était pas moins réel, plus contraignant que gratifiant, et exigeant un engagement très supérieur à celui requis d’une simple épouse » .
Joelle Chevé s’émerveille de l’entrée en scène de Brigitte Macron « avec des étoiles dans les yeux, un sourire éblouissant, une culture rayonnante et une garde-robe étonnante » . Oui, mais… A y regarder de plus près, dans cette longue galerie de dames, il apparaît qu’aucune n’a trouvé le bonheur dans ce sinistre palais de l’Elysée. On doute qu’un statut ou une charte ne puisse y remédier !