L’horreur est humaine
Bienvenue dans le cabinet de curiosités du spécialiste français du thriller d’épouvante. La visite des lieux vous garantit quelques émotions fortes puisque l’on peut y croiser une momie, un loup-garou, une sorcière et de multiples hommages aux maîtres du
C ’est une idée comme une autre, de se rendre un jour d’Halloween chez un écrivain vivant au milieu d’une forêt – enfin, sur une avenue très boisée. Et pas n’importe quel auteur : l’une des plumes françaises les plus populaires dans le domaine du thriller horrifique tendance Stephen King. Quelqu’un qui peut se targuer d’avoir vendu près de cinq millions d’exemplaires de ses livres rien que dans l’Hexagone et d’être traduit dans une quinzaine de langues : Maxime Chattam. Depuis 2002 et la parution de L’Ame du mal, ce sympathique quadragénaire enchaîne les succès en librairies sans faire de bruit, contrairement à d’autres rois du best-seller dont on ne compte plus les apparitions télé. Lui préfère res- ter dans sa grande maison – jadis propriété d’un sulfureux quidam australien qui avait installé des micros partout dans les murs... Ce natif d’Herblay a ainsi élu domicile depuis quelques années dans une petite bourgade non loin de Chantilly, histoire d’être tranquille et à seulement une heure de la capitale. En arrivant devant son portail, on hésite : faut-il appuyer sur la sonnette du gardien ou sur celle de la maison? On opte pour la seconde solution. Une voix virile nous répond – celle de Maxime Chattam. Le maître des lieux, en jean, pull et cheveux noir-corbeau assortis, nous attend sur le pas de la porte, souriant, nous proposant de prendre un café avant de visiter son bureau. Dans l’entrée, un colosse nous souhaite la bienvenue. « C’est un bouddha
thaïlandais » , précise le propriétaire qui ne revendique là rien de religieux. « J’aime bien sa symbolique. On sent qu’il est sympa, mais qu’il faut le respecter ! » Une tasse à la main, on croise alors un chat noir, Salem. « J’en ai un autre, Shakespeare, mais il est très sauvage, et un chien, Ankh, comme le hiéroglyphe égyptien signifiant “vie” ! » Il est 14 heures, mais le temps est sombre, humide, ne donnant guère envie de tenter un plongeon dans la piscine. On observe le grand jardin où trône une chaise géante, faisant passer tout humain normalement constitué pour un gnome. Sur celle-ci, un corbeau nous regarde fixement.
« Des oiseaux empaillés, il y en a aussi, vous savez » , s’amuse l’écrivain. « Mais si vous voulez voir des créatures vraiment effrayantes, montons à l’étage. » C’est justement là que se situe son bureau, d’environ cent mètres carrés. En haut de l’escalier, se dresse une grande bibliothèque contenant une bonne partie des oeuvres de l’auteur et ses nombreuses traductions. Le plus spectaculaire (et c’est un euphémisme) reste à venir… Au milieu de la vaste pièce, il y a bel et bien un bureau – où il travaille plusieurs heures par jour – , tout ce qu’il y a de plus classique. On y trouve des photos, celles de ses enfants et de son épouse, l’animatrice télé Faustine Bollaert, et un grigri – à savoir un collier tibétain dont l’auteur adore « tripoter les perles » . On s’étonne de voir deux ordinateurs – « l’un est réservé à la documentation, l’autre à l’écriture » , explique Maxime Chattam qui saisit soudain un (beau) stylo. « Il a été fabriqué à partir d’un morceau de l’épave du Titanic ! L’histoire de ce naufrage m’a toujours fasciné, et je possède également une maquette du bateau. » Mais ce détail ne fait pas oublier l’essentiel de la pièce et de ses « habitants » à taille humaine qui, peutêtre, discutent entre eux la nuit. On pourrait alors s’attarder sur le squelette arborant une casquette de l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale), sur la curieuse créature tenant un sceptre-crâne ( « je l’ai fabriquée à partir d’un mannequin et d’une tête de chèvre trouvée dans une brocante » ) ou… sur cette momie couchée dans son sarcophage – celle du « pharaon Nophru-Ka » évoqué par H.P. Lovecraft ! Le génie de l’horreur est d’ailleurs aussi à l’honneur avec la présence d’un « Livre des cauchemars » dont la légende voudrait que ses pages s’écrivent « au fur et à mesure que chacun le lit » , faisant apparaître aux malheureux tentant l’expérience leurs pires cauchemars… D’autres grands noms des littératures de l’imaginaire trouvent bonne place sur l’étagère. Difficile de rater la « boîte de voyage » que Lewis Carroll aurait utilisée lors de sa découverte du Pays des merveilles. Et ceux qui ont adoré Le Monde perdu de Sir Arthur Conan Doyle (l’un des romans préférés de Maxime Chattam) seraient ravis de fouiller dans la « malle d’exploration » du géniteur de Sherlock Holmes.
VOUS AVEZ DIT BIZARRE?
En face, outre une chaîne hi-fi et une énorme pile de CD – pour l’essentiel, des musiques de film dont cet encyclopédiste de septième art fantastique est friand –, une vitrine nous permet d’admirer, parmi tant d’autres madeleines, le buste du démon Darkness de Legend, les crânes des rivaux Alien et Predator, la carte des Goonies, le crochet du Capitaine du même nom ou le chapeau et le fouet d’Indiana Jones. Sont entreposés également ses carnets de recherches ou une reproduction du manuscrit de la fameuse « tirade du nez » extraite du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. D’ailleurs, s’il doit en arriver aux lames, cet amateur de fantasy peut arborer la copie de l’épée d’Aragorn dans Le Seigneur des anneaux – et se protéger grâce un casque tiré de l’imaginaire de Tolkien (ou de Peter Jackson). Maxime Chattam prend toutefois garde à ne pas faire de mauvais gestes, afin de ne pas briser deux créa-
lll tures originales mises sous verre, dont il expose les squelettes: une chimère composée d’os de baudroie et de boa, et un dragon constitué à partir des restes d’un varan et de chauves-souris. Mais il est une relique à laquelle il tient plus encore: la première version de son premier roman où apparaît son vrai nom, Drouot – « Chattam » étant un pseudonyme faisant référence à une petite ville de Louisiane.
La visite du « cabinet de curiosités » se poursuit dans la pièce adjacente qui sert de bibliothèque pour les ouvrages préférés de l’auteur – romans, bandes dessinées, beaux livres –, et tout ce qui a trait aux jeux de rôle, dans la lignée de Donjons et dragons. Les cambrioleurs seraient d’ailleurs mal avisés d’y entrer, sauf à vouloir affronter un loup-garou peu rassurant à taille humaine ou la sorcière qui lui fait face, Charlotte l’Osseuse. Mais, rayon morbide, une mention spéciale s’impose pour la momie du bébévampire qui aurait certainement plu à Bram Stoker. Le géniteur de Dracula a, bien entendu, droit à sa vitrine, dans laquelle est entreposée son hypothétique mallette de chasseur de vampires, contenant toutes les sources de son roman qui, n’en doutons pas, doit être lu comme un document tout ce qu’il y a de plus sérieux! Parmi tant de merveilles du macabre, on aura plaisir à se plonger dans la copie d’une lettre de Jack l’éventreur, à admirer un authentique vase lacrymatoire du Ier siècle apr. J.-C. et à s’interroger sur la lumière d’une lampe-crâne ou sur la bulle d’air enfermée dans un cristal. La liste pourrait, croyez-nous, être encore très longue! « Ce lieu, c’est un peu mon rêve de gosse que j’ai ici réalisé » , avoue ce défenseur de l’imaginaire sous toutes ses formes, qui se rend compte de sa réussite.
DE L’ACTEUR À L’AUTEUR
Pur « rejeton de la classe moyenne » , il n’imaginait pas, à l’adolescence, devenir écrivain. Un bref temps acteur – il confie alors avoir gagné « pas mal d’argent » , pour un type de son âge –, il reprend ses études de lettres, puis de criminologie. Par hasard, ce fan de Stephen King devient libraire à la Fnac – premier maillon dans sa rencontre avec l’édition. Mais c’est grâce à Michel Lafon qu’il décroche son premier contrat d’auteur ( « je lui avais demandé, comme un coup de poker, cent cinquante mille francs – uniquement pour débuter une négociation –, et il a immédiatement dit oui… » ). Le succès fut instantané, consolidé (citons Maléfices, les sept tomes du cycle Autre-Monde, La Théorie Gaïa ou Léviatemps) et ne se démentira pas pour celui qui a déjà en tête ses… quinze prochains romans ! Son dernier opus en date, L’Appel du néant, appartient à sa série des enquêtes de Ludivine Vancker. Avec force scènes choc, cadence infernale, descriptions précises des méthodes d’investigation, rebondisse- ments – sans oublier une pointe de sentimentalisme inattendu et une fin, disonsle, très réussie –, Chattam explore à nouveau les ténèbres dans une intrigue où la DGSI, la médecine légale et diverses forces de police doivent faire face à la fois à un tueur en série coriace et à la menace terroriste, ayant peut-être des liens en commun… La genèse de ce roman – interrompu, puis repris – est assez différente des autres livres de cet artisan du suspense, marqué par les attentats de Charlie Hebdo et qui a, pour les besoins de son histoire, rencontré à Beyrouth des dignitaires du Hezbollah avec lesquels il a discuté de la définition du Mal. « Je ne vous cache pas que l’ambiance était, comment dire?, particulière… »
LA MAISON DU BONHEUR…
Qu’on se rassure : Maxime Chattam ne passe pas tout son temps dans cet antre de l’épouvante. « Le plus important, c’est ma famille ! » Il adore ainsi regarder des films ( « entre un et trois par jour » ) dans sa salle de cinéma privée située au soussol, où sont exposées des affiches de La Guerre des étoiles, d’Indiana Jones et la dernière croisade ou du Retour du roi, dédicacées – s’il vous plaît – par les équipes ! Il n’a que l’embarras du choix pour la programmation, lui qui possède plus de sept mille films en DVD ou Bluray. Mais ce père de famille aimant apprécie surtout de passer du temps avec ses enfants dans la salle de jeux qui abrite un flipper, un billard, un baby-foot, un jeu d’arcade et une peluche XXL du héros de Monstres & Cie. C’est également là qu’il assouvit une autre passion (si l’on en croit les maillots accrochés sur les murs) : le sport, et en particulier le football (américain ou à « ballon rond »), qu’il regarde sur grand écran, tranquillement installé dans un confortable canapé. Bref, Maxime Chattam profite de la vie et il a bien raison. « De toute manière, si je devais mourir demain, j’ai l’autorisation en tant que fantôme de pouvoir hanter la bibliothèque de New York. Oui, oui, j’ai un certificat en ma possession me donnant ce droit. » Il faudrait tout de même vérifier auprès des services juridiques de l’au-delà, la valeur légale de ce document… Baptiste Liger Photos: E. Garault/Pasco
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