Se faire un « non »
Il se définissait comme rien de plus qu’un « faiseur de notes », un genre d’illégitime « contrebandier de la littérature ». Homme de la marge, de la rature, du silence, il a passé sa vie à ne surtout pas vouloir publier de livres. Oser vouloir faire oeuvre, c’était toujours trop. Un péché d’orgueil pour celui qui, dans chaque phrase s’applique à creuser l’absence de soi ( « Des fleurs sur ma table, donc je ne suis plus seul » ).
Poète des bribes et de la brisure, Georges Perros a existé sur un mode infinitésimal. « En fait, je ne me remets pas d’être né sans l’avoir voulu » , confesse-t-il dans l’un des nombreux textes rassemblés dans ce beau volume Quarto. Plus loin, il ajoute : « En fait, je m’étonne qu’on m’aime assez pour m’attendre le soir / Et quand je rentre le soir c’est toujours / Inquiet de ne pas retrouver la femme et les enfants que j’ai. » Morceaux de journal, comptes-rendus de lectures, suites d’aphorismes, lettres, poèmes en octosyllabes, tout ici s’emporte dans un même geste poétique de renoncement à l’extraordinaire. Où l’on aurait tort de s’arrêter à cette manière qu’il a de s’excuser d’être là, de pointer son inconfort de vivre. Car la noirceur, la lucidité, le sens du tragique sont chez lui les moteurs étonnants du surgissement de vérités assassines – « La possibilité du suicide interdit la plainte et justifie l’ennui » , assène-t-il sans détour. Homme de théâtre fuyant le fracas de la scène, il distille au grès de ces aphorismes une parole nette, acérée, presque cruelle. « On peut tout attendre d’un homme qui n’a rien fait. Mais d’un homme qui s’est manifesté, on dit vite pis que pendre. » Lui n’est qu’une somme de soustractions, lui ne ressent « que les absences » . Et, quand son corps, quand sa voix se dérobe, « les mots se font comme des coquillages. Le langage océan » . Quant à la poésie, si elle reste précieuse, c’est aussi parce qu’encore et toujours, elle « donne plaisir de ne pas avoir à comprendre » .
Georges Perros,