ÉTUDE DU CORPS SOCIAL
Pourtant, il entre à l’Académie, connaît une gloire fulgurante avec ses Fables et figure donc, enfin, à côté du grand Fénelon, comme éducateur de l’héritier du trône. Faut-il alors craindre que, pour atteindre ces positions avantageuses et accéder à ces grandeurs d’établissement, Jean de La Fontaine ait dû consentir à quelques flagorneries ? Nullement. Ce qui fait tout le prix des Fables, c’est bien la liberté d’esprit de leur auteur. Le double procédé de l’allégorie et de la généralité de la morale dispensée permet bien au fabuliste, à la fois d’être éternel et d’être de son temps.
Trois fables, parmi tant, le démontrent. Prenons, par exemple, Les Membres et l’Estomac (III, 2) ou la critique de la noblesse considérant le corps humain : les Membres prétendent s’émanciper de leur dépendance de l’estomac (passons sur le choix de cet organe pour figurer le siège de la vie). Les contemporains n’ont ainsi pas de mal à les identifier comme les représentants de la noblesse. Ne s’assignent-ils pas comme objectif, une fois libérés de la tutelle de l’estomac, de « vivre en gentilhomme » ? Las ! Très vite, les Membres rebelles s’avisent que cette liberté se paye de grands désordres et regrettent leur état antérieur. Ils prennent alors conscience de leur « intérêt commun » régulé par l’estomac. Le corps social, comme le corps physique, étant un ensemble organisé qui commande d’être dirigé. Ainsi des Grenouilles qui demandent un roi (III, 4) et les mérites respectifs des modes de gouvernement. Comme les Membres, les Grenouilles veulent être libres. Mais elles sont incapables de se gouverner elles-mêmes. Voilà donc la République écartée parce qu’impuissante. Va donc pour la monarchie au risque de la tyrannie puisque le monarque – la Grue – les croque. Le Loup et l’Agneau (I, 10), enfin. Avec « La raison du plus fort est toujours la meilleure » , on lira une critique du pouvoir, mais aussi et surtout une résignation à son arbitraire.
La Fontaine est un bien un grand pessimiste. Il devrait ainsi encore plaire aux déclinistes d’aujourd’hui…
Marc Riglet