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Un tunnel sans fin

Après l’enfer de la guerre, celui du retour à la vie pour des vétérans en quête de leur passé enfoui.

- Christian GARCIN

Ce soir, on s’éloigne du Caesars Palace et du Bellagio, à l’écart des machines à sous rutilantes, des Yankees jacassant et des filles à paillettes qui rêvent de voir une fortune tomber à leurs pieds. Il est temps de délaisser les hôtels-casinos pour marcher vers le désert, du côté des égouts et des collecteur­s d’eau de pluie. Là-bas survit une équipée sauvage, des marginaux qui n’attendent plus grand- chose de la vie. Il y a Hoyt Stapleton, vétéran du Viêtnam, ex- « rat des tunnels » qui a côtoyé l’horreur et qui préfère désormais les mulots aux hommes. Il pratique le silence comme la première des vertus. Pas très loin, dans le collecteur n° 7, on croise aussi Steven Myers et Matthew McSullivan, revenus d’Irak et traumatisé­s à vie. Mais aussi le souvenir de Dennis O’Reilly, éternel enfant aux intuitions plus que fumeuses. C’est lui qui, un jour, a parlé d’un voyage dans le temps. Passé ou présent, c’est au choix, et Hoyt Stapleton se verrait bien de retour dans les années 1950. Il s’imagine sur la pelouse jaunâtre de la maison familiale près de Boulder, Colorado, quand maman fait la cuisine et que Maureen Pattinson porte encore des couettes rousses, comme des taches minuscules sur ses joues rebondies. À la radio, la voix de Bing Crosby suinte, tel un sucre d’orge, et toute cette harmonie semble préférable aux temps futurs qui ressembler­ont à des catastroph­es écologique­s à répétition. Mais revenir en arrière, dans les années 1950 tout particuliè­rement, c’est accepter de se souvenir aussi du pire qu’on a préféré occulter.

Livre vertigineu­x et métaphoriq­ue, Les Oiseaux morts de l’Amérique est un grand voyage dans le temps et l’espace, mais surtout dans le coeur de ces hommes qui se sont perdus « dans un souterrain vietnamien peuplé de serpents, d’araignées et de combattant­s invisibles et acharnés » . Ils y ont laissé leur âme et n’ont plus qu’à traîner leur détresse au milieu des fantômes de l’oubli. Christian Garcin a quitté La Piste mongole et Les Nuits de Vladivosto­k pour leur construire un tombeau magnifique, porté par une écriture d’une grande beauté mélancoliq­ue. Christine Ferniot

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