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Le sens des affaires

Le quatrième roman de l’écrivain américain est une fable sociale post-11-Septembre. Aussi cruelle que vivifiante.

- Jonathan DEE Ceux d’ici (The Locals) traduit de l’anglais (États-Unis) par Elisabeth Peellaert, 400 p., Plon, 21,90

Plus de dix ans ont passé depuis la crise des subprimes. Plus de seize, depuis le 11-Septembre. Distance suffisante pour revenir sur l’enchaîneme­nt des faits survenus entre ces deux événements. Ceux d’ici est le roman de cette période, s’ouvrant en plein chaos à Broadway : alors que les tours jumelles viennent de s’effondrer, que le temps s’est arrêté, que l’endroit est « figé comme une capture d’écran » , le monde court et s’agite. L’entreprene­ur en bâtiment Mark Firth est, pour sa part, coincé à New York. Il ne rentrera chez lui que le lendemain, dans la petite ville résidentie­lle de Howland (Massachuse­tts). Son couple bat de l’aile, ses parents commencent à devenir séniles et les affaires ne sont pas bonnes. Des commandes sont tout à coup bloquées (forcément, quand on a des clients qui travaillen­t pour une compagnie d’aviation…). Mais voici que dans la propriété voisine s’installe la famille de Philip Hadi, gestionnai­re d’un fonds d’investisse­ment. Depuis la tragédie, le job de ce milliardai­re consiste à « élaborer des scénarios » pour « voir l’avenir » – précisémen­t, à spéculer. Il embauche alors Mark pour ses travaux. Celui-ci, fasciné par le brio du magnat, décide lui aussi de profiter de la crise en rachetant des maisons à bas prix. Hadi, quant à lui, découvrant une ville sans affaires, se lance en politique pour devenir le « premier élu » , transforma­nt l’endroit selon une philosophi­e bien à lui.

Ceux d’ici repose sur les destins croisés de ces deux principaux protagonis­tes. Mais ce récit est surtout un prétexte pour dresser le portrait d’une classe moyenne blanche, prise dans les vents d’un xxie siècle naissant sur des décombres. Symbole d’une société de pavillons et de tondeuses à gazons, Howland fonce sans le savoir dans la future crise des subprimes. Grâce à de solides personnage­s secondaire­s, Jonathan Dee raconte la ville, allant jusqu’à retracer sa fondation remontant au xixe, puis alterne entre grand angle social et petites histoires de famille. On se délecte de l’ironiste qu’il est resté (impossible de ne pas penser à Reagan ou à Trump à travers Hadi l’« antifisc »). Avec ce roman à la fois juste et enlevé, provocant et parfois glaçant, on retrouve ici l’auteur des Privilèges, portraitis­te affûté des solitudes modernes.

Jonathan Dee,

H.A.

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HHHII

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